Jeudi 14 mars 2024, Praia dos Castros, à Ribadeo, sur la côte de Galice. « Debout et face au vent (1) », posant son regard clair sur l’horizon « comme si ce monde n’était qu’un leurre, l’illusion d’une douleur (2) », un homme s’avance au bord de la falaise, dans l’habitude qui est sienne d’aller au plus près, au bout de ce qu’il entreprend, qu’il ait en mains une guitare (Les Paul de préférence) ou un stylo. Et comme il arrive parfois qu’à la recherche du parfait accord, la chanterelle casse, se rompt soudainement le fil de sa vie : la chute est fatale.
Frank Darcel, musicien talentueux (Marquis de Sade, Octobre, Senso avec Pascal Obispo, accompagnateur et producteur d’Etienne Daho, un album solo en 1995, puis Republik et Marquis) était aussi écrivain (5 romans publiés entre 2005 et 2022). Son passage à l’écriture avait été occasionné par un accident survenu en 2000, lors de sa participation à l’album Back to Breizh d’Alan Stivell, quand le déclenchement d’une alarme d’incendie lui détruisit un tympan et lui laissa des acouphènes qui l’éloigneront longtemps de la musique.
On ne choisit qu’exceptionnellement le lieu et l’instant où les ciseaux se referment. Tout bien considéré, que l’Ankou lui ait donné rendez-vous non loin de cet autre Finistère, entre les terres celtiques de Galice et d’Asturies, ne doit pas déplaire à Frank. Breton farouchement attaché à son pays, il aurait probablement préféré succomber au sommet du Tuchenn Kador, dans les monts d’Arrée, dont il avait malicieusement baptisé son dernier label de production musicale, LADTK (Les Amis du Tuchenn Kador). Mais la péninsule Ibérique nous semble aussi convenir à cet Européen convaincu, attitude qui prévalait tant dans son engagement politique pro-fédéraliste, que dans tout son œuvre ouvert aux inspirations multiples, jusqu’à avoir appris le portugais lors de son long séjour à Lisbonne, dans un souci de sincérité à l’égard des artistes locaux qu’il produisit (parmi lesquels le groupe new wave GNR et le bluesman Paulo Gonzo).
Frank Darcel était de ces hommes qui accordent pensée, parole et action. Grâce lui soit rendue, en attendant fin 2024 la sortie de ce coffret auquel il tenait tant : l’intégrale de Marquis de Sade, augmentée d’inédits et autres démos ou versions alternatives, dont deux titres chantés par Philippe Pascal et enregistrés pour la reformation du groupe, dont la légende vient de grandir tristement.
Beaj vat, Frank !
(1) « Je n’écrirai plus si souvent » (in Aurora, Marquis)
(2) « Soulève l’horizon » (ibid.)
Mon nom est « Personne », en portugais « Pessoa », tel le Lispoète « immobilis in mobili ». Telle devrait être la devise du Nautilus, puisque pour voyager, « il suffit de fermer les yeux » (L. F. Céline). Et ouvrir les oreilles, ce que je fis de prime jeunesse avec les paternels 45 t. des Shadows, suivis du déclic-klang Kraftwerk en 1978, puis vint 1983 : découverte de Joy Division, Marc Seberg… Puissé-je de temps en temps refaire surface ici et vous ouvrir mon carnet de bord.