Toujours aussi prolifique, le Lyonnais Thierry A. alias Fragment. revient avec un nouveau LP intitulé Home disponible depuis peu sur le label OPN records. Titre à la fois simpliste et lourd de sens, pouvant rappeler à l’esprit l’expression anglophone « Home is where the heart is ». J’ai toujours trouvé intéressant que certains mots de la langue anglaise comme « Home », alors que nos fanfaronnades franchouillardes nous poussent régulièrement à qualifier son vocabulaire de bien plus pauvre que le notre, n’aient pas vraiment leur équivalent en Français courant. Au delà de ces considérations linguistes – et pour revenir à notre sujet – c’est bien de « coeur » qu’il semble être question ici. D’abord comme on le constate quand on écoute le compositeur nous parler de son projet, et de cette collaboration avec Nicolas Dick (Kill the Thrill) dont Home est le digne résultat; et puis surtout quand on voit celui qu’il met à l’ouvrage.
Home se compose de deux pièces gargantuesques de respectivement vingt-six et vingt-deux minutes, sobrement intitulées « Home I » et « Home II ». Le premier débute par des drones tournoyants, tissant une longue introduction à ce titre où le lent tempo et les guitares plombées contrastent toujours avec des nappes étirées, denses qui elles lui procurent un coté aérien et flottant. C’est cette dualité qui séduit de plus en plus dans l’instrumentation de Fragment., comme on la retrouve également chez celle de Jesu certes – mais, et c’est très bien – c’est là une des dernières choses que les deux hommes partagent aujourd’hui (Thierry est le premier à reconnaître l’influence de Justin Broadrick dans son travail). « Home I » respire, joue des accalmies et prend plusieurs fois des pauses avant de repartir « de plus belle ». Les programmations se montrent brillantes, délimitant les mouvements du morceau jusqu’au « chapitre » final – débutant, lui, vers la vingtième minute de la piste – et qui reste mon passage préféré, alors que les guitares se font plus étirées encore, moins saturées et étouffantes, se dissolvant dans une légèreté et en devenant ainsi comme libératrices.
« Home II » se compose lui aussi de drones superposés, vrombissants, bourdonnants, sur lesquels arpèges de guitare et nappes de clavier glaçantes se succèdent et s’amoncèlent. Presque aucune mesure rythmique ici (exceptée quelques accords marquant un rythme fantômatique), aucune programmation ni percussion, on est en pleine traversée du désert. Arpentant les terres ambiant de plusieurs paysages bien connus, c’est pourtant son propre son que Fragment. forge, décline et prête à cet exercice, avec grande élégance. On apprécie la contribution de Nicolas Dick aux guitares et aux manettes, qui a su donner un corps massif à ce Home et ainsi aider son auteur à affirmer un peu plus ostensiblement son indépendance et son identité. Après un split tout à fait réussi avec Iroha sorti il y a quelques mois chez Denovali, on souhaite à Fragment. de continuer encore longtemps à faire rimer quantité et qualité – pour le plaisir de nos oreilles.
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).