C’est toujours sympa les concerts du samedi soir. On sait d’entrée que le lendemain matin, on n’aura pas à supporter sa tronche déconfite par une nuit bien trop courte, le goût de la bière plus très fraîche encore au fond du gosier, et la culpabilité de constater, une fois sur son lieu de travail, qu’on a une productivité proche du zéro absolu. Ce samedi, c’est donc au Grrrnd Zero Gerland que S’étant chaussée et Maquillage & Crustacés proposent Evangelista, le groupe de Carla Bozulich, nommé ainsi après son album solo sorti en 2006 – avec les anglais d’Action Beat, dont la particularité est d’avoir trois batteurs, et aujourd’hui, une poisse avérée avec la mécanique puisqu’on apprend en arrivant que le van du groupe est en rade, et qu’Action Beat sont donc coincés à Nancy (les pauvres) (pas taper les Nancéens, c’est juste une mauvaise private joke). Conséquence, leur concert de ce soir est annulé et reporté au lendemain au même endroit, à prix libre. C’est donc Sheik Anorak qui les remplacera au pied levé. L’occasion de voir enfin ce garçon sur scène après en avoir entendu parler à maintes reprises.
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Mais pour l’heure c’est l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp qui ouvre. Venue de Genève la formation se présente sous un sextet : trombone, marimba, batterie, contrebasse, guitare et chant/violon. A voir la disposition du groupe (en demi cercle autour de la chanteuse) et à sa composition, il est difficile de ne pas penser une seconde au fer de lance de Constellation records, et comme le dit un ami, aux hippies psycho-rigides amateurs de post rock folkeux (héhé) Mais lorsque le groupe commence à jouer il tord bien vite le cou à cet amalgame. La vocaliste, une jeune fille toute fluette d’apparence y va franchement avec un chant appuyé, parfois parlé, crié, supporté par les autres musiciens (avec ou sans micro d’ailleurs, ça donne une proximité à l’ensemble ma foi bien appréciable) alors que la section rythmique s’emballe régulièrement et que l’ensemble part dans des délires sonores aux multiples origines (afro, tziganes, jazz, ska, c’est un vrai patchwork là dedans). C’est très enjoué, plutôt gai, voire un peu barré sur les paroles, mais en tout cas c’est très communicatif et le public semble conquis, parce que la petite foule agglutinée autour du groupe (qui joue à même le sol) s’étoffe rapidement pour finir par occuper toute la salle, jusqu’en haut des petites marches qui mènent au bar.
Les soli se succèdent, du trombone en passant par le violon, la batterie et surtout le marimba (gros instrument à percussions entre le xylophone et le vibraphone) – très impressionnant le solo de marimba d’ailleurs, si quelqu’un a eu la présence d’esprit de le filmer (ce qui n’est pas mon cas) qu’il se manifeste! A peine après s’être éclipsés, les petits Suisses (ouais je sais, elle était facile celle-là) se laissent convaincre pour un rappel de deux morceaux, et terminent leur set après une heure, cela fait bien plaisir de voir qu’un groupe venu d’aussi loin pour assurer une première partie n’a pas fait le déplacement pour jouer trente minutes et devant vingt personnes.
Evangelista s’installe alors qu’on sirote une bière, qu’on grapille un peu d’infos sur les concerts de Monarch, de Carne, ou d’Electric Electric et Keiko Tsuda (auxquels on a honte de ne pas avoir assisté) (vous avez remarqué comme c’est pratique ce « on ») ou encore de Shannon Wright. C’est fou, j’ai l’impression de ne jamais avoir vu autant de concerts que depuis deux mois, et pour autant il me semble ne jamais avoir loupé autant de trucs. Bref, Carla Bozulich est là, avec Tara Barnes à la basse et d’autres musiciens qu’on reconnait avoir déjà vu dans d’autres formations sans pour autant être capable de les nommer. Le concert commence par un morceau bruitiste ou les couches de guitares s’amoncèlent, remplissant la salle de distortions pointues, faisant presque merveilleusement grincer dents et oreilles. Puis une fois l’orage passé le bruit s’estompe et laisse place à des mélodies plus discrètes et introspectives ; la diva Bozulich (que je vois sur scène pour la première fois, bien que son premier passage à Lyon remonte déjà à loin) peut laisser s’exprimer sa superbe voix, douce, feutrée et cassé à la fois, tirant de moi des frissons lorsque son chant s’essoufle pour se terminer en cri.
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Le son est loin, très loin d’être parfait – le Grrrnd Gerland, tristement, n’est pas célèbre pour la qualité de ses infrastructures mais on a le mérite de pouvoir y voir des concerts, et c’est déjà pas mal – et la batterie sonne un peu cartonnée, mais la musique du quintet souffre peu de ces problèmes matériels, parce que dès que Carla commence à chanter elle nous prend littéralement aux tripes. En tout cas c’est son effet sur moi, peut être l’effet de surprise, peut-être mon état d’esprit du moment, difficile à dire. J’assiste au concert depuis le devant de la scène, assis à quelques centimètres du violoncelliste, et je n’en rate pas une miette. Autre façon de dire que je me prends tout dans la gueule, et tant mieux, je suis là pour ça. « Pissing », superbe reprise de Low (la vidéo juste ci-dessous) qui – après vérification – figurait déjà sur le premier album, achève de me mettre la tête à l’envers et j’avoue que je me souviens difficilement de ce qui s’est passé par la suite, parce que j’étais comme qui dirait un peu ailleurs.
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Alors forcément, quand les lumières se rallument, je suis un peu paumé et je me demande un peu ce qui se passe, et quand quelques secondes plus tard je reprends mes esprits je me demande pourquoi le public s’est visiblement bien éparpillé depuis le début du concert (autant que je m’en souvienne). Peu après, en discutant avec quelques personnes pour qui le set d’Evangelista s’était tout juste révélé moyen, bof-bof, ou au mieux, moins bien que la dernière fois (où je n’étais pas) je me dis que finalement, c’est drôle que de mon coté j’aie presque eu l’impression que ma vie allait s’arrêter, là, ce soir, et que de toute façon laisse tomber ça ne servait à rien de chercher à comprendre.
Sheik Anorak attaque devant un véritable par-terre de fans (il joue à la maison un petit peu). Evidemment, moi j’ai encore le bide qui remue du concert d’Evangelista, et même si je trouve ça très bien je suis pas vraiment dans le mood pour bouger mes fesses.
Alors j’écoute discrètement, dans mon coin, et j’analyse. Le bonhomme attaque ses morceaux un peu de façon systématique, en commençant par boucler des riffs de guitares à l’aide de deux samplers (si j’ai bien compté), jusqu’à en obtenir un collage mélodique – très intéressant la plupart du temps – puis se retourne vers sa batterie pour s’accompagner, et faire décoller les morceaux en leur amenant alors une dimension beaucoup plus dansante. Trois constatations, c’est tout ce que j’aurai été capable de faire : la première, c’est que le garçon est une véritable rock star. Pas dans l’attitude, au contraire, mais de par l’engouement général de ceux et celles qui l’écoutaient (et en ont redemandé pendant un bon moment). Deuxième constatation, c’est plutôt mérité car relativement bien foutu, et il faut le dire, l’exercice doit demander une sacrée dextérité (la moindre erreur sur un de ces loopers et votre morceau est bon pour la casse). La troisième, c’est qu’incontestablement il va falloir que je le revoie, ce Sheik là, pour pondre quelque chose de plus objectif à son sujet. Le lendemain matin, le spectre d’Evangelista et la voix de Carla Bozulich obscurcissaient encore ma vue.
Photos : G. Dulliand
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).