C’est le troisième ou quatrième passage d’Emily Jane White dans notre belle ville de Lyon (ou presque – l’épicerie, c’est quand même pas la porte à coté, on a tendance à minimiser ce détail quand on a la chance d’être motorisé, il est vrai) et c’est la première fois que je me penche vraiment sur son « cas ». Peut-être est-ce dû au label qui la distribue en France, Talitres – label indépendant bordelais qui a eu ses très belles heures, mais qui brille un peu moins (à mes humbles yeux) depuis que Piano Magic, I Like Trains ou The Organ ne font plus vraiment partie de son catalogue et que d’autres de ses récentes signatures (Swell) se sont révelées carrément décevantes. Le concert de ce soir est une prod Mediatone, asso qui diversifie sa programmation depuis quelques années et qu’on ne peut qu’encourager à le faire encore davantage. On retrouve donc en première partie Julien Pras – songwriter en outre membre du groupe Bordelais Calc, et bassiste d’Emily Jane White sur sa tournée en France – ainsi que le « petit prodige » Clermontois Zak Laughed.
Mon épicier est ponctuel : chez lui les concerts commencent à l’heure. On entre dans la salle tout juste pour voir commencer la prestation de Julien Pras, qui disons le tout de suite s’avérera être la franche bonne surprise de la soirée. L’épicerie moderne est en configuration « assise », les sièges s’avancent quasiment jusqu’au gradins – on a pas l’habitude de voir la salle Feyzinoise ainsi – mais ce soir, il faut bien le reconnaître, la moyenne d’âge est un peu plus élevée que d’habitude, dans le public tout au moins (le syndrôme Télérama ou les Inrocks peut-être?). Le chanteur est seul sur scène, avec sa guitare acoustique, il livre ses chansons tout simplement, éclairé par une faible lumière blanche sans excès ni fioriture. Son écriture s’habille d’une jolie fragilité, et l’instrumentation – bien que construite sur la seule guitare, et loin d’être simpliste ou évidente – bénéficie pour le coup d’une éxécution impeccable. La voix du bonhomme, elle, se montre touchante, particulière et familière en même temps. On se dit par moment que ça n’a pas l’air facile de s’exposer, seul sur scène, comme çà, que finalement il s’en tire plutôt très bien à cet exercice ; que ses chansons, on aimerait bien savoir les jouer, nous aussi, pour pouvoir les partager à nouveau lorsque les circonstances s’y prêtent… Pour le dernier titre, Julien est rejoint par Emily au piano, sa violoncelliste, et son guitariste (qui officiera à la pedal steel), concluant ce premier set d’une bien jolie façon. Merci monsieur.
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On l’apprendra un peu plus tard, en écoutant les conversations à droite à gauche après son concert, Zak Laughed est un jeune Clermontois de… quinze ans. On se disait aussi, il nous avait paru bien jeune, ce chanteur / guitariste, accompagné d’une formation on ne peut plus classique (guitare solo, basse, batterie), jeune aussi (mais pas autant). Une bonne partie des gens qui se sont avancés pour l’heure semblent bien connaître le loustic (sans doute des amis ou de la famille qui ont fait le déplacement depuis la capitale auvergnate?). Allez… On ne va pas trop s’attarder sur son cas, d’abord parce qu’il était malade semble t’il, et puis parce qu’il faut l’encourager ce garçon, à son âge (si si). Alors OK, pour ses quinze ans, il se débrouille plutôt pas mal du tout, mais une fois qu’on arrive à regarder plus loin, de toute évidence, tout ça manque un peu d’identité, et d’originalité. Le garçon se dit influencé par Eels, sur scène ma foi j’aurai plutôt rapproché ça à du Beatles revisité à la sauce Strokes – tout ce que le pop-rock nous a servi de plus chiant au cours des quarante dernières années (bah non, j’aime pas les Beatles) – avec la conviction en moins. Pour ma part je m’ennuie, jusqu’au dernier titre, ou l’énergie se fait enfin un peu ressentir – et au rappel, apparemment imprévu, au cours duquel l’ado revient seul nous interprêter un titre, petite guitare acoustique sous le bras, et nous laisse percevoir un soupçon de personnalité. Terminer sur une note encourageante. C’est bien.
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Emily Jane White n’a rien de la diva folk / rock au sens où l’on peut l’entendre ; elle n’a ni le charisme d’une Polly Jean, ni l’aura sombre d’une Marissa Nadler, ni le coeur à vif d’une Kimya Dawson. Pourtant, sa voix et ses chansons n’ont pas tant à rougir devant celles de ses aînées : elle sait pondre de belles balades, elle aussi, mouvantes entre fragilité, rage vindicative contenue, histoires de fantômes, d’amis perdus ou retrouvés. L’orchestration qui l’accompagne (batterie, basse, guitare, pedal steel mais aussi et surtout violon et violoncelle) est totalement mise au service du chant et du songwriting, distillant dans la folk plutôt traditionnelle de la chanteuse juste ce qu’il lui manque d’électricité et de rythme. Et puis les cordes, les cordes quoi… Qu’est ce que c’est beau le son d’un violon, quand même.
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Rien à redire sur la voix de la jeune fille ce soir, ni sur le talent de ses musiciens, mais au fil du set c’est pourtant un certain immobilisme qui s’installe et prend le dessus ; on se surprend à ne plus vraiment distinguer les chansons les unes des autres, et malgré une prestation honorable et appréciable, les titres finissent par traîner un peu en longueur. Le public, sous le charme de la folkeuse, ne partage visiblement pas mon avis puisqu’il en redemande (timidement quand même, on est pas un concert de Blur non plus). Elle revient donc pour un premier rappel de trois titres avec ses musiciens, puis seule pour un second encore, alors que la salle a déjà commencé à se vider. Point fort de ce show, le titre éponyme du dernier album, « Victorian America » – qui vole à mon sens clairement au-dessus des autres. Un bon moment de découverte plutôt agréable donc, pas vraiment décevant (on ne s’attendait pas non plus à concert inoubliable) mais un set trop linéaire et pas suffisamment prenant pour me donner envie de me pencher plus avant sur le dernier album. On va plutôt aller dès maintenant faire un petit tour sur le myspace de Julien Pras pour écouter quelques bribes de ce premier disque du monsieur, intitulé Southern Kind Of Slang, à paraître très bientôt sur Vicious Circle. Prochain rendez vous avec l’épicerie moderne, les Canadiens de Clues (dernière signature de Constallation).
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).