La méthode infaillible pour aiguiser l’intérêt auditif de certains rédacteurs de DarkGlobe se résume presque toujours à cette phrase: »T’as écouté cela? Je trouve que ça sonne vraiment comme du New Order ». Grâce à cet appât, le poisson est ferré à chaque fois et il ne reste alors plus qu’à remonter la ligne. Concernant le nouvel album du duo californien post-rock El Ten Eleven, Fast Forward, l’influence est de l’ordre de la contamination avancée comme celle d’un zombie ayant survécu de la première jusqu’à la sixième saison de The Walking Dead. Rien de formidablement étonnant à cela, dans la mesure où c’est Peter Hook lui-même qui a recommandé l’utilisation d’une basse à six cordes aux musiciens de Los Angeles pendant que ceux-ci assuraient la première partie de The Light. Ce choix musical aura, selon les propos mêmes du bassiste Kristian Dunn, influencé de manière radicale la sonorité de l’album au point de rendre hommage au papy de la Cold Wave et à son fiston (qui a récemment rejoint les Smashing Pumpkins, soit dit en passant) en intitulant un morceau de Fast Forward « Peter and Jack »: « That six-string is all over this record. It’s their fault that the band took a change in direction slightly. So it’s a little dedication to them » (« Cette six-cordes se retrouve sur tout l’album, c’est leur faute si le groupe a pris un léger tournant, alors c’est un petit clin d’oeil qu’on leur adresse »).
Sur ces neuf titres instrumentaux de El Ten Eleven, les influences en action sont donc immédiatement reconnaissables. Sur un strict plan musical, le rapport basse / guitare est intéressant, parfaitement réussi. Mais l’on ne peut s’empêcher d’y entendre l’écho d’un millésime d' »Elegia », instrumental de New Order présent sur l’album Low Life de 1985, ou un peu avant, la référence – leçon pour plus d’un guitariste post Joy Division – du « Leave me Alone » (1983) toujours du même groupe. Tout cela est agréable pour l’amateur d’une certaine école New Wave , mais est-ce suffisant ?
Dans l’usage des delay appliqués aux six cordes, comment ne pas entendre une autre signature que celle évoquée ci-dessus ? La guitare de Vini Reilly n’est guère éloignée de celle de El Ten Eleven, et l’esprit du mancunien semble lui aussi avoir inspiré celui des deux américains. Le système est poussé loin, et, s’il est cohérent, il pourrait être aussi une forme de fuite en avant dans un même sens trop unique ; évanescence qui in fine manquerait d’un corps qu’on craindra de ne jamais rencontrer sur tout l’album.
Globalement, on baigne dans l’agréable, ce qui n’est évidemment pas déplaisant. Mais cet agréable est celui d’ambiances étirées plutôt qu’un véritable propos. Si certains groupes en font trop, et nous ne les suivons pas dans ces voies, El Ten Eleven semble, lui, éviter de s’engager. On ne sait si le groupe choisit vraiment : si un choix est posé, c’est peut être trop timidement et de fait on ne le retient pas. Il y a un manque d’épaisseur qu’on regrette un peu, sans pour autant s’ennuyer, mais sans doute a-t-on envie d’inciter les musiciens à plus d’engagement ou de présence. Cette présence – épaisseur qui dans ces titres uniquement musicaux, sans textes chantés, pourrait tout à fait être proposée par une basse osant des slides plus rugueux vers les notes plus graves. De même espérerait-on des drums mixés plus en avant pour plus de « rentré dedans ».
El Ten Eleven édulcore beaucoup ses instrumentaux, préfère les harmoniques aux riffs, ce qui n’est pas une mauvaise idée mais c’est ici trop systématisé de sorte que l’effet s’annule un peu et fait perdre au groupe de la présence, qui tricote artistiquement dans une musique toute en délicatesses légères au risque de frôler l’ennuyeux sur plusieurs titres d’affilée. On conseillerait presque au groupe d’oublier son très grand recul, signe d’intelligence, mais qui génère une impression d’absence d’engagement – ce qui n’est certainement pas le cas – engagement qui, si on le percevait un peu plus, rendrait davantage accrocheuses ces compositions qui ne peuvent que faire dresser l’oreille aux amateurs de pop New Wave circa Power Corruption & Lies et Low Life.
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Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.
Lionel
Pas tout-à-fait d’accord avec ton analyse Jean Noël – du moins pas en tout point ! Si la « retenue » te semble trop poussée, et si le groupe te semble manquer d’engagement je trouve au contraire que c’est ce qui fait en grande partie le charme du disque, qui s’inspire en cela de toute une esthétique « post-rock 90’s » guidée par les Tortoise, Trans Am, Directions in Music (le groupe de Doug Scharin, pas celui de Herbie Hancock) et compagnie, qui prenaient bien soin justement de ne pas « envoyer du lourd » quand on s’y attendait le plus :D A mon sens le groupe tient autant de cet héritage que de celui de NO et JD et c’est bien ça qui le rend intéressant (comme tu le soulignes)
Jean Noel Bouet
Ok patron! et comme quoi on prouve ici toute la subjectivité en jeu dans l’appréciation d’une oeuvre. Et combien ,aussi ,c’est l’auditeur ou le lecteur ou le regardeur qui lui donne quelque chose en plus ou en moins, Lã rend vivante en tous cas.