De la pertinence d’une phrase : « Ceci n’est pas une chanson d’amour »
Avec cette cinquième édition, le festival This Is Not A Love Song, installé sur les structures de la SMAC Paloma de Nîmes-Métropole, s’impose comme un des incontournables moments de l’année pour les amateurs de rock indépendant. La riche programmation des trois journées mêle avec équilibre, têtes d’affiches, groupes confirmés ou émergents, ainsi que talents d’un vivier régional et actif.
In situ la chose se vit et se consomme dans une ambiance bon enfant et conviviale. Les festivaliers d’Occitanie qui espèrent en un pouvoir des fleurs – on ne leur reprochera pas cet ersatz d’utopie -, ornent pour l’occasion les chevelures les plus juvéniles, d’habiles tressages fleuris très Peace and Love, aussi naïfs que charmants. Tout cela reste évidemment un joyeux poncif. Un jeu innocent qui accompagne surtout l’envie d’une fête musicale – mais en aucun cas n’appelle un socratique délire de Pan – et marque l’arrivée d’une saison estivale qu’on sait transitoirement libératrice des corps si ce n’est des esprits.
Ces légers éléments d’un folklore remis à sa juste dimension, l’événement TINALS empreint d’une générosité affichée et grâce à une belle qualité de programmation, est une indéniable réussite. Dans son cas nous n’oserons pas évoquer le pince-sans-rire Edwins Collins et son acerbe diatribe de « Campaign for real rock », sur le très beau Gorgeous George (1994), où l’écossais balançait, vachard, sur ces festivals rock tiroirs-caisses, miroirs d’égocentrismes démesurés.
Il n’en demeure pas moins que comme les festivals de même nature, TINALS est un objet clos, inopérant au delà de lui-même. Si on considère le public de ces manifestations et qu’une moyenne est faite, on s’aperçoit très vite que toutes ne s’adressent, in fine, qu’à une unique catégorie de spectateurs – consommateurs. Ce qui pourrait être perçu comme le constat d’un échec du rock à proposer autre chose que des mises en scène de sa propre admiration. Dans ce réel, nous sommes loin des utopies qui présidèrent aux mouvements spontanés de la fin des années soixante et des célébrations quelquefois désordonnées de ce qui s’espéra brièvement contre-culture. À de rares exceptions près, la culture pop a cette caractéristique d’être devenue celle du jetable et de l’interchangeable; soit une offre de distractions renouvelables et non la révolution artistique et sociale rêvée. Les plus brillants acteurs de cette histoire qui comprirent leur méprise, n’y résistèrent guère.
Désormais désigné dans les conversations par l’acronyme TINALS, le «This Is Not A Love Song festival» – devenu aujourd’hui bannière d’événement culturel – jailli de l’acuité d’un John Lydon, ne pourrait – être ainsi et selon une certaine analyse, d’une totale gratuité symbolique. En ce sens le nom du festival Nîmois serait d’une rare pertinence et ses organisateurs des petits malins.
Culte
Voir et entendre Echo and The Bunymmen sous la chaleur de la fin d’après-midi, à peine plus tard que 19h, est une expérience proche de l’oxymore et qui relève d’un anachronisme. C’est pourtant sous un soleil de plomb que les six liverpuldiens se présentent sur le grand plateau extérieur de TINALS, baptisé du nom hispanisant de Flamingo (Flamant). Aussi blanc que les serviettes éponges qu’il shootera ensuite dans le public et qui deviendront des reliques disputées, Ian Mac Culloch est au centre de la scène. Félin souple et traînard, il prend la posture de celui qui a choisi de jouer à l’insaisissable. Entre présence et distance étudiées, il incarne ce lead singer charismatique et ambigu qu’il a toujours été et qui, assurément, se moque bien de plaire ou non à un public auquel il ne cherche pas à se donner corps et âme. L’anti-Bono, c’est lui. Veste et lunettes noires sur paire de vieux jeans, cheveux de jais ébouriffés sans doute teints, Mac Culloch a la classe des grands seigneurs qui errent dans les marges. Celle d’une tradition qui passe par Morrisson et Lou Reed, via Lennon – ville d’ origine oblige – période post Beatles, avec chewing gum mâché pendant les sets et verres fumés Ray-Ban en écran.
L’autre figure attendue des Bunnymen est le guitariste Will Sergeant. À la droite de son acolyte – chanteur, l’homme au ventre maintenant arrondi, aura sans doute apprécié la proximité du ventilateur placé derrière lui. Il changera souvent de guitare, aidé par un roadie personnel et dévoué. Soit, dans ce bout de scène, le spectacle dans le spectacle d’un binôme aussi actif que renfermé sur son monde de six et douze cordes. Le guitariste à la longue frange inchangée depuis 1978, esquissera un salut poli et discret à son arrivée sur scène et n’offrira, cinquante minutes plus tard, qu’un sourire bref, peut-être soulagé, à l’issue d’un set trop court pour développer toute la magie (immense) du groupe. En l’écoutant et le regardant d’aussi près, on réalise combien Sergeant est un instrumentiste singulier, loin de toute tentation démonstrative. Une personnalité aussi mutique et calme que celle de Mac Culloch, l’apparent flegmatique, oscille vers l’ironie.
Les quatre autres membres du groupe en tournée (basse, batterie, claviers et guitare) font le travail avec concentration et sans signe ostentatoire. Mentions spéciales à Stephen Brannan (basse) second remplaçant de Les Pattinson depuis son départ en 1999, ainsi qu’à Nicholas Kilroe qui maîtrise toutes les nuances de Peter De Freitas, batteur du groupe jusqu’à son décès accidentel en 1989. On note la présence toute récente de Kelley Stoltz à la seconde guitare. Soit celle d’un grand fan puisque l’américain s’appliqua, dans un de ses projets solos, à l’entière reprise de Crocodiles premier album des Bunnymen, synonyme de référence souterraine pour toute une génération de musiciens.
Le concert, ciselé, se déploie, et c’est avec un accent en forme d’obstacle premier que des années de pratique de l’anglais LV1 ne suffisent pas à surmonter pour l’auditeur-récepteur, que Mac Culloch en émetteur rocailleux, s’adresse au public. On comprend avec un effort que, selon cet homme là, « The Killing Moon » est « la meilleure chanson du monde, composée (forcément) par le plus grand groupe ». Sous le soleil de plomb on est aux anges. Idem avec tous les titres joués, essentiellement extraits de la première décennie du groupe (la meilleure) – Evergreen (1995), album du retour, mis à part. « Rescue » (introductif), « Lips Like Sugar », « Do It Clean » (rappel), « Bring on the Dancing Horses », « The Cutter » (boosté juste ce qu’il faut), « Do It Clean » (rappel), sont autant de petits sommets. On leur ajoutera le superbe et poignant « Nothing Lasts Forever », titre d’Evergreen, au creux duquel Mac Culloch et les musiciens rajoutent quelques phrases des Doors (« L.A Women ») et de Lou Reed (« Walk On The Wild Side »). Ces citations – qui passent bien en live et sont désormais habituelles – peuvent être toutefois appréciées différemment et avec réserve, nonobstant le goût de Mac Culloch et Sergeant pour ces musiciens qui les précédèrent et motivèrent leur propre réunion en 1978.
Au milieu des années 80, New Order et les Bunnymen eurent une tournée commune. Les Bunnymen ouvraient les sets. A leur propos Peter Hook déclara que les mancuniens étaient souvent paniqués à l’idée de jouer après le groupe de Liverpool, tant la prestation de celui-ci était de haut vol. Ces années là sont loin. Les Bunnymen de 2017 pourraient bien être un groupe d’hier si ce n’est d’avant-hier. Mais après quelques breaks et des départs, Sergeant et Mac Culloch sont toujours réunis. Bien sûr les albums de la fin des années 90 et ceux des années 2000 ont sans doute été moins passionnants que les cinq premiers enregistrements et l’impressionnant Evergreen qui renouait avec un grand song-writing. Groupe culte, Echo And The Bunnymen n’en est pas moins très sous-estimé (ce qui lui vaut peut-être de jouer à 19h et non à 22h?). Probablement parce qu’il aura un peu déçu après avoir plané très haut – le récent Météorites (2014) ne fût pas la promesse attendue -, et parce qu’on ne retient finalement que quelques titres des décennies 2000. Sibéria (2005), production pourtant très honnête, ne brille que par le très pop et velvetien « Stormy Weathers ». C’est ainsi dans la marge (« In The Margins ») que s’inscrit la formation qui bouscula le paysage post-punk avec son magnifique Heaven up here. Dans cette zone où mélancolie – pop et humeurs incertaines se mélangent à des lignes de guitares reconnues dès la première note. « Je suis un guitariste à qui on ne demande jamais rien » (Will Sergeant). Soit une position décidément loin, très loin de toute surestimation. Culte.
Club
Au milieu des années 80, l’écossais Bobby Gillepsie va prendre une grande décision. Depuis les brumes de Glasgow où il officie comme batteur sommaire derrière les Jesus And Mary Chain, il décide de donner à Primal Scream, son propre groupe, formation typique de la nouvelle pop des Lowlands,une dimension nettement plus mainstream. Soit une alternative susceptible de le conduire vers des latitudes plus joyeuses et qui s’avèreront nettement plus lucratives.
Après une paire de singles sort l’album Screamadelica (1991). En pleine période Acid House, ce mélange d’influences rock, psyché et dance, deviendra une des galettes vinyles les plus appréciées sur les dance floors. La machine est lancée. Gillepsie le pâle longiligne, mute en avatar d’un Mick Jagger boosté à l’électro-pop et s’acoquinera avec toute forme susceptible d’animer les corps des amateurs de musique rythmée. Tout y passera dans un grand recyclage aux ramifications larges: Dance, Rythm and blues, Hard, Rock alternatif et experimental, Electronica et Krautrock. L’exercice est soutenu au rythme d’un album tous les deux ans (parfois moins), avec quelques enregistrements live et une compile de premier choix : Dirty Hits(2004), double cd chargé à bloc. L’oeuvre de Primal Scream s’étire ainsi sur plus de vingt ans, jusqu’à More Light (2013), dixième album doté d’un hit « It’s Alright, It’s OK », mix de Gospel et d’inspiration Rolling Stones – encore -, au refrain « Hou la la la » qu’on s’amuse à reprendre en choeur.
Arrivés sur scène aux alentours de 23h, les Primal Scream la quitteront sans rappel une heure plus tard. En costume rouge brillant et ajusté, Gillepsie fait le show. Il danse et s’agite, maniéré à souhait, jouant des poncifs Jaggeriens. Sa performance en paraît un constant copié-collé, ou un héritage assumé si on reste bienveillant avec le toujours mince quinquagénaire. Autour de lui on retrouve le line up classique des Primal Scream. Avec les membres fondateurs, Andrew Innes (guitare et chapeau de paille sous les projecteurs) et Martin Duffy (claviers), dont on n’apercevra guère que la silhouette cachée derrière un empilement de synthétiseurs. La basse est tenue par Simone Butler, plus jeune musicienne, qui succède à Mani l’ex-Stones Roses (de Vanishing Point (1996) à Beautiful Future (2012) – période qui fût celle des grandes collaborations: Bernard Sumner, Chemical Brothers, Kevin Shields ). Fréquences basses poussées à fond, Primal Scream a une intention avouée et inchangée: faire danser son public. Il y réussit. Nous nous retrouvons tous en club. Pas à Ibiza ni à l’Haçienda, mais la grande scène de Paloma fait soudain office de machine à produire un groove essentiel qui satisfait les festivaliers. Avec efficacité et une inclinaison différente que celle des Bunnymen en matière de communication avec son public, Primal Scream enchaine ses hits incontournables. Les un-peu-sales, un peu-vicieux, comme « Loaded », « Rocks », « Swatiska Eyes ». Les fédérateurs positifs: « Movin’On up » qui termine le concert – dix titres en tout et pour tout – et un « It’s Alright, It’s OK » pendant lequel chacun ondule en chantant des « Houla La » formidablement kitschs et discos. Puis ceux qui rockent à l’ancienne, avec riffs et cuivres tel « Jailbird » et la reprise du 13th Floor Elevator, psyché et vintage, « Slip Inside This House ». Tout cela, naturellement, restera très cool et guidé par Gillepsie qui aura rapidement tombé la veste, pour dégager un torse glabre sur lequel se plaque sa chemise à jabot blanche, modèle Hyde Park, Juillet 1969.
Certains racontent qu’ils ont pu croiser, un peu plus tôt dans l’après-midi, le même homme, solitaire et mélancolique, se promenant sous un soleil harassant, autour des arènes romaines. L’écossais aurait ainsi mesuré la majestueuse beauté d’une romanité dominant toujours la ville gardoise. Info ou intox? Sur le parvis de l’amphithéâtre, le promeneur rencontrera inévitablement un moulage en métal, œuvre d’art contemporaine – parfois souillée par des esprits troubles et chagrins – représentant le torero nimois Nimeno II. Ce dernier, véritable légende, mit fin à ses jours quelques années après une grave blessure qui l’empêcha définitivement d’exercer ce qui donnait sans doute un sens secret à sa vie. On le suppose ainsi; du moins. L’écossais blafard qui serait bientôt revêtu de son habit de lumière rouge, l’a t-il vu? Qu’est-ce que ces lieux ont bien pu lui inspirer? « Entre l’histoire et la légende, choisissez la légende » disait Anthony Wilson. On pensera volontiers que le chanteur des Primal Scream a effectivement trainé dans cette zone de lumière aveuglante, avant de rejoindre la fête terrienne de Paloma. Et que les impressions diffuses et incertaines d’une grandeur bien au delà de lui-même sont venues jusqu’à son esprit. Intéressante idée. Dans ce cas précis nous dépasserions le club. Dans le cas contraire nous y resterions.
Outro
Dans un festival comme TINALS, tout voir est impossible. Mais ce tout n’est peut-être pas utile. Ainsi, ce même jour, on se dispense très facilement de rester jusqu’au terme du set des Peacers, super groupe sur le papier, issu de la mouvance californienne néo-psyché, mais ennuyeux et monocorde sur scène. Ainsi pourquoi prendre deux guitares si c’est pour qu’elles jouent la même chose? Dans un registre proche on eut préféré, sans doute, les Heron Oblivion aux compositions plus inspirées. On regrettera par contre de n’avoir pu revenir pour Teenage Fan Club, dont la pop jugée surannée par certains, n’en demeure pas moins intemporelle désormais, qui s’est éloignée du shoegazing des débuts qui, il est vrai, ne remontent pas à hier… On voudra bien croire que The Make Up, conjugaison tonique du MC5, de James Brown et du John Spencer Blues Explosion, donnèrent dès le vendredi soir, le plus remarquable show du week end. On regrettera modérément de ne pas avoir entendu The Black Angels, qu’on a pourtant longtemps estimé pour leur esprit aussi cold que psyché, mais peut-être davantage quand ils étaient à la traine du BJTM il y a déjà six ou sept ans, au moins. Ca ne s’explique pas complètement. Je vous le concède. On se dira que les Bunnymen en tournée avec Primal Scream – c’est prévu tout cet été – n’est pas un mauvais mariage, mais que ce devait être une autre affaire quand Mac Culloch ouvrait le bal avant Ian Curtis, un gars de Macclesfield qu’on n’aurait jamais trainé à TINALS même si c’est un chouette festival. Amen.
Photos: Olivier Ruiz, Didier Bagnis et Music Please.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.