Du côté des locaux de DarkGlobe, il faudra sans doute un jour se faire une raison et émettre un décret pour en finir avec cette fascination indécrottable et clairement adolescente pour tous ces groupes qui se complaisent à incarner musicalement le concept même de glandouille. Car rien sur le bien nommé Petite Nature, le premier album des Montréalais de Drug Train ne semble jamais avoir l’intention d’accélérer le rythme cardiaque, préférant aux rythmiques bondissantes une électropop à peine chatouilleuse avec son chant féminin mais neurasthénique, ses boîtes à rythme claudiquantes et autres nappes de synthétiseurs en rase-mottes et dont l’encéphalogramme presque plat rappelle celui de papys sous Tranxène. Sans doute le résultat d’après-midis passés dans des chambres à coucher dans lesquels flottent des effluves tenaces de Marie Jeanne et s’étendent des cadavres d’alcools un peu forts, si vous voulez mon opinion ma brave dame! Malgré cette enfilade de clichés (vrais ou faux, on s’en fiche carrément), difficile de ne pas succomber à cette figure du gentil musicien slacker, invariablement attendrissante surtout lorsqu’elle est incarnée par une petite bande de québecois avec un accent tout à fait rafraichissant.
Il apparaît pourtant parcellaire de résumer cet album à un je m’en foutisme déglingo. Car Petite Nature n’est pas un album franchement rigolard. L’impression première de légèreté ne représente souvent qu’un voile translucide, une fausse et ingénieuse sensation de normalité fainéante. Même parcouru de morceaux nonchalamment mais implacablement catchy (« Love Love » ou « What it Takes »), l’humeur du disque traine invariablement des pieds et les contrastes y sont exposés en délicates couches superposées toutes en variations de gris. Tant et si bien que même les semblants de légèreté souriante exposent d’abord une nostalgie finalement assez touchante (« Team région » avec ses extraits de La vraie nature de Bernadette et Les corps célestes de Gilles Carle), que l’indolence sensuelle du chant évoque plus des romances désorientées qu’une vie amoureuse débridée et assumée (« J’ai tendance à rire en entendant ta voix / J’pense plus souvent à toi quand t’es pas full là » sur « Finies les folies »). Ainsi, même le parfait et singulièrement lumineux (au contraire du reste de l’album) hymne hipster « All My Friends », morceau travaillé en mode ralenti à la façon d’une discipline olympique, célèbre l’amitié comme une collections d’Instagram en filtre pastels, il laisse transparaître en filigrane la vacuité finale et cruelle de ces relations (« All my friends are beautiful, they get married in the summer and everybody dresses up, everybody feels better about themselves« ). Drug Train alterne avec tact et talent un étrange humour à froid (les samples d’une femme hurlant à la manière d’un jeu sado maso comme rythmique dévoyée sur « Rabbit Punch » ) et des souffles tièdes d’innocence désabusée. Le groupe suit tout le long de Petite Nature des pistes tortueuses et élabore un tableau radicalement plus trouble que ce que les lignes claires très Serge Clerc de la pochette ne laissaient présager.
Si Petite Nature sonne donc à première vue comme un disque d’électropop paresseuse, résultat d’un cocooning musical correspondant à l’inflexion rêveuse et le flegme grisâtre de ses auteurs, le disque reste insidieusement hanté par des ectoplasmes de mal-être. Rien par ici ne semble de l’ordre de provoquer un trauma mais participe tout de même à des vagues à l’âme troubles et doucement tordus comme il faut. Cet hiver, les tremblements de terre n’était pas à l’ordre du jour au pays des caribous; juste un léger frisson de plaisir amer et coupable à la surface des flocons de neige.
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.