Affiche éclectique et ambitieuse – il faut le leur reconnaître – que proposait l’association Pousse Elvis au nouveau casino ce samedi 20 juin. Cinq groupes, pas moins, on aurait presque dit la fête de la musique avec un jour d’avance. Le temps de galérer juste ce qu’il faut dans l’espèce de dédale infâme qu’est le métro parisien pour un cul terreux de provincial comme moi et l’ami qui m’accompagne (qui vit quand même à Paris depuis un an, la honte pour lui), on arrive au Nouveau Casino à la fin du set de Team Ghost qui a la lourde tâche d’ouvrir la soirée. Le trio délivre un noise rock somme toute assez efficace et plaisant mais je n’en verrai que trop peu pour écrire quoi que ce soit de constructif sur la musique de ce groupe local.
Ce sont les poitevins de Microfilm qui enchaînent, changement de set ultra rapide, vous comprenez messieurs dames, ça pousse pour jouer derrière il faut pas traîner. Le quatuor (basse batterie, deux guitares) démarre sur les chapeaux de roue, un bel écran blanc surplombe la scène et reçoit les projections de visuels noir & blanc qui accompagnent les samples. Si le groupe tombe évidemment avec excès dans le piège du sample cinématographique, formule déjà vue et revue, il a pourtant l’audace de jouer cette carte à fond, avec le souci omniprésent de bien faire les choses: l’orchestration et ses soubresauts, les visuels, les samples vocaux s’imbriquent les uns dans les autres avec une cohérence qui force le respect. Et si au niveau instrumental, on est également en territoire familier, quelque part entre Explosions In The Sky et 65daysofstatic, la section rythmique et les variations maintiennent une tension permanente bien plaisante. A conseiller aux fans de cinoche rétro donc, pour les nombreuses références.
Deux jours après leur date lyonnaise au Sonic ce sont les Australiens de Snowman qui prennent le relais. Auteurs d’un album surprenant, d’ailleurs: le dual The Horse, The Rat And The Swan – je dis « dual » parce que rarement un album ne m’aura inspiré deux avis aussi différents d’une écoute à l’autre (et aussi accessoirement parce que depuis quelques semaines je suis un peu obsédé par le concept de dualité, va savoir pourquoi je vois des contraditions partout). Bref, on l’a vu avec A Place To Bury Strangers l’année dernière, le no-wave-post-punk-appelle-çà-comme-tu-veux revient en force, et les quatre petits australiens (enfin petits, l’un d’entre eux surtout) portent le flambeau bien haut. Et en parlant d’APTBS, Snowman en reprend d’ailleurs quelques gimmicks tant sonores que scéniques : guitares brouillées déconstruites noyées dans une reverb crade, rythmes frénétiques enchainées avec des parties psychédéliques, attitude sur scène mode troubles obsessionnels compulsifs « mince mais qu’est ce que j’ai fait de ma camisole de force ». Le petit bonhomme au clavier – s’il ne paye pas de mine comme ça, quand il regarde jouer Microfilm d’un oeil distrait depuis la fosse, enfile une autre peau sur scène et devient un fou furieux complètement déchaîné : tour à tour percussioniste, subtilisant par moment le tom basse du batteur, violoniste (enfin il martyrise son violon pour en tirer des sons extraterrestres plus qu’il n’en joue), crieur, chanteur (les vocalises aigues – impressionnantes de justesse et de puissance pour un si petit bonhomme sont en réalité de son fait, et non de celui de la bassiste à qui j’avoue les avoir prêtées sur le disque)… et même danseur. Le guitariste également: tous deux descendent au cours du set prendre leur petit bain de foule au milieu du public parisien, un peu médusé et apathique (un breton un peu plus enthousiaste que la moyenne et ma foi bien sympathique ne manquera pas de nous le faire remarquer). Sans dénigrer la qualité du public et surtout son apparente indifférence, il faut dire que le Nouveau Casino est loin d’être plein… Et qu’une affiche comme celle-ci aurait pu à mon sens attirer plus de curieux. Toujours est il que Snowman continue de bluffer son monde, la bassiste troque son instrument pour un saxophone, et dans les jeux de lumières le groupe amène peu à peu son set vers un final carrément apocalyptique. Les lumières se rallument puis sans que l’on ait le temps de réagir les musiciens sont déjà en train de plier leur matos. Ca fait plaisir de voir enfin un groupe qui se donne autant sur scène, et sans conteste c’est un des meilleurs concerts auxquels on assistera cette année que Snowman vient d’offrir ici.
Enablers n’est plus à présenter, de nombreuses tournées et dates européennes au cours des trois dernières années ont bien assis leur réputation chez nous – mais la particularité de cette date parisienne (et des dix-sept autres – enchaînées sans le moindre day-off) est que le batteur Joe Byrnes est absent, et remplacé par le prestigieux Doug Scharin, membre fondateur de June Of 44 et HiM, batteur intermittent de Codeine, Directions In Music, et pionnier de toute une scène noise-expérimentale au milieu des nineties à l’époque où Tortoise balbutiait aussi son Millions Now Living Will Never Die. Bref la présence de Doug au cotés de Pete Simonelli, Kevin Thomson et Joe Goldring justifiait à elle seule ma venue à Paris et présageait d’un set tout particulier. Les quatre compères montent sur scène et après avoir trinqué au milieu de la scène s’enfilent direct un bon shot de vodka (ou quelque autre liqueur transparente qui peut s’y apparenter) comme un petit rituel initiatique de début de concert. C’est parti avec « The Destruction, Most Of All » – et on n’aurait pas pu rêver meilleur titre d’intro. De notre petit premier rang, on profite à merveille du son des deux amplis et des guitares alambiquées qui s’entrelacent (paraît il que le son en façade n’était pas aussi agréable) et des mimiques grimaçantes de Simonelli littéralement possédé par ses textes. Je ne sais pas si c’est que vraiment l’habit scénique de ce groupe me fascine, si c’est la gentillesse à l’état pur des quatre bonhommes, ou bien si je suis simplement objectif pour une fois (non? ah ok), mais Enablers est juste le meilleur groupe du monde à voir en concert. Sans remettre en question le talent incontestable de Joe Byrnes, le jeu de Doug Scharin semble aussi amener une cohérence appuyée, une apesanteur planant entre tension et fluidité – notamment sur l’énorme « Tundra ». C’est aussi un réel plaisir de les voir enfin sur une scène sur laquelle ils disposent d’un peu d’espace pour s’exprimer, Simonelli gratifiant les premiers rangs de sa sueur et de quelques mains tendues pour égayer un jeu de scène absolument fascinant. Ca doit être la cinquième fois que je vois le groupe jouer et à chaque fois je le trouve meilleur que la précédente. L’ami qui m’accompagne et découvre le groupe sur scène est conquis lui aussi et celà me procure une certaine fierté narcissique, non mais franchement çà n’est pas tous les jours qu’on fait découvrir à ses potes un groupe pareil.
Après deux sets aussi fabuleux, difficile pour moi d’adhérer totalement au black metal de Wolves In The Throne Room qui bien qu’éxécuté avec brio manque cruellement de variations et d’intensité à mon sens rapport aux deux prestations auxquelles on vient tout juste d’assister. Je regarde ça d’un oeil distant et effacé, mais rien à faire, j’ai encore la tête pleine des morceaux d’Enablers et j’en profite pour faire un tour au merch et récupérer enfin cette superbe édition de Tundra sortie chez Exile On Mainstream, dans un coffret en bois et velours. 1300 exemplaires uniquement, et j’ai le numéro 1016 – il reste donc encore une petite chance aux nerds comme moi de le choper ici.
Félicitations donc à l’asso pour cette belle soirée, ça méritait quand même d’être souligné. Bon je n’ai toujours pas saisi le thème du titre de la soirée (traduction forcée de Into The Wild? Référence cinématographique en l’honneur de la présence de Microfilm? Mouais ok, tiré par les cheveux). On espère que l’orga a pu rentrer dans ses frais et on attend de pied ferme la prog de la prochaîne soirée pour la promo.
crédit photo: Alex Skalany
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).