Arriver après la bataille tient désormais de la tradition chez DarkGlobe. Au-delà de cette bien mauvaise habitude, on peut s’interroger sur l’intérêt de revenir sur un groupe et son premier album, sorti au mois de Mars et chroniqué dans pléthore de magazines, webzines, autres blogs et unanimement apprécié par la quasi-totalité d’entre eux? Quelle utilité lorsqu’il s’agit, pour nous aussi, de nous rallier à cette vénération généralisée sans, assurément, réussir à rajouter quoique ce soit de véritablement original au sujet. Sans doute plus que la culpabilité rapidement décrite dans notre petite bafouille sur leur reprise de Daftpunk, c’est surtout notre propre besoin qui nous pousse à grands coups d’orteils dans les fesses. Car, depuis sa sortie, If You Leave, des trois londoniens de Daughter, n’a cessé de revenir nous hanter. Nous croisons donc les doigts pour que ces quelques lignes se transforment en catharsis, de celle qui nous permettra d’enfin choisir autre chose sur notre Ipod et ainsi soulager notre entourage.
Précédé à plus d’un an d’intervalle par deux EP tout autant appréciés mais plus bruts et secs dans la production, If You Leave a pris son temps pour s’ouvrir au monde, accompagné dans sa gestation par l’expérimenté producteur Rodaidh McDonald (the XX, Vampire Weekend): un message comme une évidence, qu’après sa signature sur 4AD, Daughter joue désormais dans la cour des grands. Avec cette collaboration, le son du groupe gagne en éclat et profondeur sonore tout en évitant le clinquant ou le vulgaire, tendance rouge à lèvres qui déborde. Il aventure son indie-folk dans des atmosphères pop venues de nulle part (« Winter »), shoegaze, post-rock, le tout décliné avec une grâce certaine.
Car si les formules sonores n’ont rien d’original, il y a tout de même ces rythmiques comme un coeur qui s’emballe (« Amsterdam »), ces guitares comme autant de frissons ou de souffles glacés sur le visage ou crissantes (« Lifeforms ») comme des regards dans le vide, pris dans le vertige. Il y a, naturellement et évidemment, la voix de la chanteuse: Elena Tonra. Un chant qui passe de l’intime à l’universel sur un souffle de voix, s’abstient d’un trop plein de pathos, y préfère un regard concerné, délie avec ses mots et le talent d’un chirurgien de l’âme ce qui tient du torturé pour nous révéler, comme un livre grand ouvert les circonvolutions de nos propres troubles et conclure sur un encore plus grand mystère. Elle connecte les tourments de l’esprit avec les décrépitudes du corps, s’appropriant un champ lexical éminemment corporel (combien de suffocations, de maladies, de côtes brisées sur cet album?), comme si aucun de ces dysfonctionnements ne pouvaient rester invisibles et qu’ils affluaient tous, à un moment ou à un autre, à la surface comme autant de scarifications.
Le discours, toujours accompagné de cette urgence tranquille des instruments, de ce tempo au rythme de notre respiration, de ces mélodies évidentes, se construit sur cet espace tenu entre l’optimisme timide et le dramatique ambiant, dans lequel toute espérance possède finalement la saveur du désenchantement: « Underneath the skin there’s a human, Buried deep within there’s a human, And despite everything I’m still human » avant de s’écrouler, tête la première : « But I think I’m dying here« . Mais même si l’album est constamment parcouru par la présence de la mort, par la disparition corporelle et mentale, symbolique et lente (« Youth ») ou réelle, toujours inéluctable, l’atmosphère n’est jamais figée. Le mouvement des sentiments est privilégié: cet incessant va et vient du coeur qui tangue de l’amertume de l’affection remplacée par le mépris (« Still ») jusqu’à parfois frôler un espace de sérénité : « If you leave, When I go… You’ll find me, in the shallows. Lying on my back, watching stars collide« . Car par dessus-tout, If You Leave est un album qui, même nourri dans les ténèbres, rayonne d’un éclat opaque et singulier, transcendant, saisissant et finalement vainqueur : qui aurait pu croire que l’on pouvait toucher les étoiles en plongeant aussi bas?
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.