On avait déjà parlé de Blackthread ici il y a quelques temps, à l’occasion d’un des premiers concerts de l’ex-moitié de One Second Riot. Alors que Pierre s’affaire à terminer une série d’une petite dizaine de concerts, principalement à Lyon et Paris (les deux derniers en date en première partie de Lydia Lunch), voici également venir ce debut album éponyme qu’on attendait avec impatience depuis quelques semaines, surprenant fil tendu entre noirceur intime et halo de lumière pâle. Une voie dont certains éléments de l’album d’OSR (sorti il y a un an) nous auraient presque laissé présager de la direction, qu’on était pourtant bien loin de supposer.
La musique de Blackthread est une affaire d’ambiances : sa composition repose en majorité sur des textures sonores étirées, nappes mélodiques fomentées à l’aide de basses filigranes, samplées, reproduites, sur lesquelles viennent se mouvoir d’autres sons plus ou moins parasites, mais millimétrés, réfléchis, répondant très savamment au service de la narration. Car si la voix navigue entre spoken word subtil, chanson et récit monocorde, c’est avant tout d’écriture qu’il s’agit, et c’est là le charme sous-jacent de cette première œuvre en solo du Lyonnais : qu’on y trouve cette étrange maison en haut d’une colline découverte par hasard en tombant en panne d’essence, ou qu’on voyage dans un rêve baroque et oppressant duquel on ne peut pas s’échapper, chaque chanson s’écoute comme on lit une nouvelle, progressant dans un déroulement soigné vers son issue heureuse ou dramatique. Pierre cite d’ailleurs l’écrivain Jack Kerouac comme l’une de ses influences, et intitule même un des titres « On The Road », d’après le roman du même nom. Le travail d’instrumentation, sans qu’on puisse parler de minimalisme, se révèle lui aussi d’une grande finesse. Boucles, infra-basses, ultrasons et motifs électroniques, grésillements aériens empruntés au shoegaze, gimmicks répétitifs et nappes ambiant fébriles, un songwriting à fleur de peau qui choisit de telle façon le parti pris de la fragilité ne peut que convaincre à se laisser emporter par les atmosphères dépeintes par le disque. Entre introspection profonde (« It Feels Like A Heavy Coat », « Will It Happen Again »), légereté d’apparence (« Dancing With Dave » et son sample) et angoisse schizophrène (« Threadless Sisters », traumatisant) il traverse de long en large un panorama incroyablement vaste d’émotions pour la demi-heure que l’album dure à peine. On peut en ressortir essoufflé, ou un peu désorienté, mais surtout on est impatient d’en entendre davantage.
Pas la peine de m’en cacher, un véritable coup de coeur pour moi sur ce « mini album » donc (ce terme me dérange un peu dans son coté quelque peu réducteur). Ce CD-R autoproduit (du moins cette première édition) livre un disque personnel et habité comme on les aime ici ; une réussite totale, en plus d’un bien bel objet (mention plus à la jolie pochette en carton recyclé, et l’artwork signé Amandine Urruty). Bref : un must-have. Ruez-vous dessus, m’est avis qu’il n’y en aura pas pour tout le monde.
En écoute : « Will It Happen Again »
[audio:https://darkglobe.free.fr/public/music/Blackthread_WillItHappenAgain.mp3]cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).