Les premiers fans français de Joy Division qui, par la force des choses n’ont découvert le groupe qu’après sa fin, ont aussi entendu l’ultime prestation live de Joy Division en achetant Still, album posthume des mancuniens, sorti chez Factory Records en 1981. Un disque était composé d’inédits studio, l’autre proposait des titres sur scène joués par un groupe qui, dans cet exercice, impressionnait tous ceux qui le voyaient ou qui l’entendirent ensuite. Le premier live set de Joy Division, pour beaucoup de fans non anglais, fût donc leur dernier et c’est ainsi que le nom du Birmingham High Hall fût connu, tout comme la date du 2 mai 1980. Joy Division, en trois années d’existence seulement s’était totalement affranchi des règles du blues imprégnant le rock jusque là et avait inventé son propre cadre, le signe des grands. Il en inspirerait plus d’un à son tour.
Au printemps 1980, Joy Division traverse une série de difficultés très contradictoires avec l’ambition qui habite le groupe du nord Ouest anglais de plus en plus connu parmi les amateurs de post punk. Ces difficultés ont essentiellement pour cause le mauvais état de santé de leur front man, le charismatique et hanté Ian Curtis. L’ épilepsie qui s’est déclarée en 1979 s’acharne, malgré les traitements médicaux aux effets secondaires par ailleurs nombreux. Le mauvais sort s’installe et Curtis vit une période de dépression à la fois provoquée par sa santé et de récents problèmes de couple qui lui paraissent insolubles. Jeune père, marié en 1976 à peine âgé de vingt ans, il a rencontré à l’issue d’un concert une jeune belge fan de musique, employée par l’ambassade de Belgique à Londres. Il s’agit d’ Annick Honoré avec qui il partage très vite plusieurs centres d’intérêt, et avec laquelle il noue une relation amoureuse, au demeurant platonique, mais qui lui provoque un profond sentiment de culpabilité en même temps qu’une irrépressible attirance. Ce grand jeune homme qui voulait tout en même temps, trop vite, se retrouve débordé physiquement et émotionnellement. Mal à l’aise avec lui même, le rythme de vie du groupe ne lui apporte pas , de plus, le calme dont il aurait besoin. Sollicité Curtis ne sait pas dire non et cache souvent ses véritables sentiments.
En mars, les Joy Division ont passé une dizaine de jours à Londres, pour l’enregistrement de Closer aux Britannia Row studios qui appartiennent au groupe Pink Floyd. C’est une étape supérieure, en regard des sessions plus modestes connues aux Strawberry Studios de Stockport. La sortie de ce second album n’est pas encore prévue mais elle est proche, précédée par celle du nouveau single « Love Will Tear Us Apart », joué sur scène depuis l’hiver. En studio Curtis a pris la voix de Sinatra pour interpréter cette histoire de rupture qui n’est pas très éloignée de sa propre réalité. Le label y croit de plus en plus et mise sur Joy Division. En avril un vidéo clip est tourné dans le local de répétition du quatuor, longue pièce vitrée aux murs de brique. On y voit Curtis plaquer un accord sur une guitare Vox Phantom dont il a commencé à jouer. Bernard Sumner utilise un synthétiseur analogique, instrument devenu très présent dans la musique des mancuniens. Artistiquement le groupe évolue vite et bien. Tout devrait lui sourire et Factory prévoit des premières dates sur la côte Est des Etats Unis dès le … 18 mai. Les choses ne se passeront pas exactement comme prévu.
Photo: The Birmingham High Hall ( cité universitaire) en 1981
Le soir du 2 mai 1980, ce sont environ trois cent spectateurs qui sont rassemblés dans la salle de spectacle de la cité universitaire de Birmingham. La soirée est ouverte par A Certain Ratio, groupe de funk signé chez Factory, qui accompagne souvent Joy Division. Des témoins se rappellent qu’ils ont beaucoup attendu avant que ces derniers n’arrivent sur scène. Le concert commencera tard pour des raisons inconnues. De gros projecteurs sont placés au dessus des musiciens, fixés sur une infrastructure en métal qui encadre la scène et paraît menacer le groupe par sa hauteur et sa froideur métallique. L’éclairage est sobre. Les techniciens sont informés : pas de stroboscope ni de changements brusques d’intensité lumineuse qui peuvent provoquer un malaise chez Ian Curtis. Celui ci sortira pourtant brièvement de scène quelques fois , avant de chuter pendant « Decades » en fin de set. Il reviendra, la crise passée, derrière le micro, pour chanter « Digital » en rappel. On l’entend conclure la soirée d’une voix lasse et grave avec un « Ok good night » répété par l’écho ou la reverb de la sono.
Suite aux sessions londoniennes, Joy Division dans son élan créatif a composé deux nouveaux titres qu’il répète . Il s’agit de « Ceremony » et de « In a Lonely Place » au lugubre motif de melodica joué par Ian. « Ceremony » est tonique et catchy. La basse de Peter Hook lance un riff sur les accords de Fa et Do majeur, sur lesquels se pose la guitare de Bernard Sumner. Les séquences sont efficaces et instantanément accrocheuses. Le groupe a conservé ces titres en travail sur une cassette audio, enregistrée en répétition par Peter Hook. Ce soir du 2 mai 1980, « Ceremony » est testée en direct. Elle ouvre le concert sans que quiconque dans la salle ne sache de quoi il s’agit ? Le premier couplet chanté est peu audible en raison d’un mauvais réglage de sonorisation. Les notes de guitare sont parfois hésitantes. La batterie bat un tempo d’enfer avec charleston, caisse claire et fill de toms alto/médium caractéristique du jeu de Stephen Morris. Dans le public on écoute mais on se rassemble plutôt avec « Shadowplay » qui vient juste après. Quel était ce premier titre inconnu, se demande t-on ?
Puis viennent des morceaux de Closer encore peu connus du public, mêlés à ceux bien repérés extraits de Unknown Pleasures, premier lp paru en 1979. « Transmission » est un moment intense. Tout comme « Disorder » qui donnait la couleur générale du Joy Division première période. Curtis agite les bras dans l’air, le public des Midlands se lance dans des pogos libérateurs. Le contraste est il seulement perceptible ? Ian Curtis, vingt trois ans, s’accroche au pied de micro. Chanter est une tentative de réunir en lui des morceaux épars. Qui s’en rend vraiment compte ? Quand vous voyez quelqu’un vous n’en voyez que la moitié.
Set List 2 mai 1980 :
01.Ceremony
02. Shadowplay
03. A Means To An End
04. Passover
05. New Dawn Fades
06. Twenty Four Hours
07. Transmission
08. Disorder
09. Isolation
10. Decades
11. Digital.
Les concerts initialement prévus après celui du 2 mai seront annulés. Le groupe retourne à Macclesfield et Salford. Curtis qui n’est pas au mieux, revoit Annick et erre tout un week-end chez Anthony Wilson , fondateur de Factory, qui l’héberge dans la campagne du Cheshire. Puis il passe voir ses parents installés dans la banlieue de Macclesfield, avant de regagner son domicile au 77 Barton Street. Avec Deborah son épouse, ils ne font que se croiser. Elle préfère se rendre chez ses propres parents, gardant avec elle leur fille Nathalie, âgée de un an. Ian et elle se parleront, pensent ils , avant le départ de Joy Division vers les Etats Unis. Une discussion est nécessaire, mais aucun ne sait ce qu’elle pourra apporter au couple.
Chez Factory la tournée se prépare. On fait des passeports. Curtis réalise des photomatons au magasin Woolworth, situé dans la rue principale de Macclesfield. Un ami et roadie du groupe les récupère et fonce à Londres pour régler à temps toutes les formalités utiles. Ce qu’il n’a dit à personne, Ian Curtis, c’est qu’il a peur de prendre l’avion. Et qu’il n’a pas vraiment envie de ces autres concerts. Il ne sait plus ce qu’il pense de la musique, du groupe, de sa passion pour le rock. N’a t- il pas offert à d’autres ses précieux disques ? Pour les quelques dates de la tournée américaine l’ami roadie doit remplir le rôle de nounou pour lui. Veiller à ce qu’il prenne ses cachets, à son repos entre les concerts. Factory attend beaucoup de ce premier voyage. Joy Division est en passe de devenir The Next Big Thing se dit- on. La presse suit attentivement le groupe qui est prêt à sortir un très beau second album, on le sait. Le public anglais suit. Les musiciens sont jeunes, ils ont de l’avenir , du style . Ils se sont démarqués de ceux qui ont suivi le mouvement punk. Joy Division a créé un son, une forme. Ils seraient les nouveaux Doors, quelque chose comme ça…
Le 18 mai 1980, aux premières heures du jour, Ian Curtis enverra un ultime et définitif signal de détresse. John Peel sur les ondes de la BBC annonce dès le lendemain : « Bad news,lads, Ian Curtis has died ».
Documents photographiques : Joy Division Central
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.
Lou Baeza
I provided the remastered scan of the first picture on this article, and I am working on getting a better scan of both pictures. I will let you know when it is done and if you would like a link to it let me know. Also the soundboard tape version of Ceremony is of better quality than the released version on Still.
Jean-Noël
Yes, thks