C’est peu dire que nous l’avons espéré ce premier album de nos deux chouchous des Bilinda Butchers. Même l’évocation d’un disque imaginé sous la forme d’un récit (ici, le tragique destin de deux amants japonais du 19ème siècle décrit sur treize morceaux) n’avait pas su brider l’enthousiasme lié à la perspective d’écouter enfin la musique du duo sur un long format. Car l’idée de concept album nous reste plutôt déplaisante à la base; trop souvent associée à une intellectualisation façon gonflage d’égo des musiciens. Malgré tout, il nous restait suffisamment de foi dans le talent des deux musiciens pour les suivre aveuglément sur le chemin de leur Heaven.
Ce qui est tout d’abord déconcertant sur ce disque, c’est que, en choisissant une approche musicale plus frontale, la candeur absolument non feinte du discours n’est désormais plus noyée dans cette brume artistique typique de leur dream pop mais apparaît ici bien plus nettement. Le duo, peut-être soucieux de se débarrasser de cette étiquette réductrice a privilégié une approche stylistique et musicale plus éclectique et directe. Heaven a ainsi sans doute été imaginé comme une évolution esthétique majeure pour le groupe. Cette douce mutation est loin d’être ratée mais quitte à paraître passéiste ou tristement nostalgique, la dynamique du duo fonctionnait mieux thématiquement dans son flou sémantique plutôt que dans une linéarité narrative au premier degré. D’autant plus que le disque abuse parfois de gimmicks mélodramatiques poussifs et par trop solennels (les ruptures rythmiques sur l’introduction « Ume » puis sur « Shadow Beat ») tandis que les trémolos vocaux de Sarah Psalti sur « Golden House », cette façon maniérée de jouer de son organe finissent par devenir franchement agaçants et déplacés; autant d’écueils que les Bilinda Butchers évitaient pourtant comme la peste dans leurs compositions précédentes. La pochette est d’ailleurs là pour nous rappeler que nous ne sommes pas ici dans le Japon de Yukio Mishima mais plutôt dans un anime.
L’histoire racontée sur l’album se transforme donc parfois un handicap et à la rigueur, la meilleure manière d’apprécier Heaven est sans doute de faire abstraction de sa narration même si cela est plutôt difficile avec ces réguliers intermèdes lus en japonais. Entre aspiration artistique légitime et naïveté des sentiments idéalisée et revendiquée, le trait est parfois hésitant et dessine un album mal ajusté, qui ne transforme pas totalement l’essai. Ce qui ne l’empêche pas d’être traversé la majeure partie du temps par des fulgurances de bonheur, des morceaux que l’on écouterait en boucle comme « Less Than » à la voix rase-mottes et aux p’tits airs d’indie rock 90’s, l’absolument jouissif à la mélodie japonisante « Lovers Suicide », sublime titre autour duquel s’articule le disque, la shoegaze simplement pop de « Edo Method », la trip-hop ténue, délicate et onirique de « Tanka »ou l’électro pop candide de « Heaven Holds a Place ».
Au moment de faire les comptes, reconnaissons-le : nos attentes ont été trop grandes vis-à-vis du duo et nous avons probablement oublié qu’il s’agissait ici de leur premier vrai long format avec tout ce que cela peut impliquer. Pour ce qui est du groupe, il y a sans doute une tendance à vouloir trop bien faire, à parfois trop standardiser la musique à la narration au lieu de la laisser se dérouler librement. Mais au delà de tout cela, il reste l’évidence du talent, du travail et des lumineux instants de pure grâce et d’innocence (« Like a flower, I can’t bloom in the snow We can’t hide, we can’t grow« ) qui continuent à les rendre précieux et à installer les Bilinda Butchers tout en haut de nos espoirs musicaux.
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.