Qui est cette jeune femme qui derrière moi, à l’arrière de la salle, sur le dernier morceau du rappel « Sleep the Clock Around » fond en larmes dans les bras de son compagnon ? Elle était joie gracile et souriante à l’ouverture du concert lorsque Stuart Murdoch, le bondissant leader du collectif écossais, lance son « Dog on Wheels». Que s’est-il dit entre temps ? Que s’est-il joué pour que le sourire tourné en spleen cède la place ? C’est bien cela la prestidigitation du groupe écossais, un groupe de combinaison de paradoxes qui irradie d’estival lyrisme et mélancolise d’automnales mélodies.
Il y a Belle ET il y a Sebastian, ce double inscrit dans le nom même du collectif affiché par ce & en backdrop de taille définit leur production musicale depuis le premier janvier 96 : à la fois surannée et indémodable, douce et triste, riante et plaintive. Cela, sans doute, donne le ton du périmètre émotionnel indé du public du soir dans ses plus grandes largeurs.
Stuart est là, le collectif de Glasgow composé de huit musiciens à ses côtés, Sarah Martin, voix cristalline, Stevie Jackson, double vocal notamment. La date annulée de novembre 2015 en mémoire. Ils sont là enfin et si le temps a passé, la voix est immuable dans le corps juvénile du chanteur, c’est cela qui va saisir au long de ce concert, oui la jouvence qui coule du chant et des morceaux picorés au long cours des albums emblématiques : If You’re Feeling Sinister, The Boy with the Arab Strap, Tigermilk, The Life Pursuit, ainsi que des morceaux issus des plus récents et confidentiels (de l’avis même de Murdoch) : A Bit of Previous et le dernier LP Late Developers. Il se révèle de l’ensemble une démarche extrêmement cohérente qui tient entre les deux pôles suivants : Allégresse et Nostalgie. Les backdrops variés entretiennent tout au long du concert des références du temps toujours « légèrement » passées, fragiles et datées, comme le sont les pochettes de leurs albums aux teintes Smithiennes, comme le sont certaines sonorités où l’on voit dans l’embrasure de la porte POP déambuler les profils des Housemartins et je l’avoue dans les trompettes parfois ceux des mancuniens de James, version album Seven. Le temps, toujours le temps, je comprends mieux les pleurs de cette jeune femme. Pop around the clock, nous inclus et notre vingtaine nineties par la même dans le vertige de la bande son de nos vies.
Alors Stuart s’emploie avec vitalité à allumer des contrefeux de légèreté, il parle, beaucoup, interpelle le public, évoque anecdote et actualité brulante, ce n’est pas un détail, cela témoigne ainsi que son œuvre musicale se nourrit d’un appétit verbal, d’un appétit de dialoguiste, presque scénaristique. Il intègre les spectateurs au sens propre, faisant monter sur scène quelques valeureux danseurs, entretenant la flamme de la convivialité. J’y vois, au-delà du joyeux cercle formé un double désir, un double objectif de proximité avec le public et plus largement leur auditoire indé: la volonté de confidentialité, la volonté de se reconnaitre dans ce cercle des intimes, se reconnaissant tristes mais drôles d’un verbe réservé. Toujours l’esperluette, le &, le +, le mais encore.
Comme le titre de Pizzicato five, je suis à l’heure de les quitter « Happy Sad » avec une intégrité de moine, totalement happy & totalement sad.
C’est généreux et intime donc que Belle and Sebastian nous ont serré la main et le cœur ce soir du 12 juin, c’est festifs et mélancoliques que nous avons vu les portes de Paloma se rouvrir redonnant à ma voisine éplorée la disposition du cours du temps réel et non de la mémoire douce-amère. Ce sont ses pleurs qui cependant nous prouvent la supériorité immense de la musique sur la vie réelle sans doute car là-seul le lyrisme peut encore (nous) survivre.
« Get Me Away From Here, I’m Dying »… Ils reviendront, nous y serons.
On devrait toujours être légèrement improbable (Oscar Wilde).