Entendre un banjo tient toujours du traumatisme pour moi : dès la première note, la célèbre séquence du « Dueling Banjo » du Délivrance de John Boorman s’incruste automatiquement en relief 3D devant mes yeux suivie en accéléré du sinistre destin des protagonistes du film.
Au vu de ma suspicion envers ce funeste instrument, autant dire que le deuxième EP des Bear’s Den qui démarre avec celui-ci, partait déjà avec un handicap des plus élevés. De plus, avec leurs cheveux longs et leurs barbes négligées, leur bonne stature de bestiau élevé au grand air, rien ne m’aurait moins étonné que d’apprendre que les trois musiciens du groupe sortaient d’un trou perdu des Amériques. Et bien, tous ces à priori avaient autant de valeur que cette pathétique introduction : Bear’s Den vient juste de l’autre côté du la Manche, de Londres et ses membres, au look finalement bien plus hipster que redneck, sont les rescapés d’un projet précédent appelé Cherbourg ; nom plus approprié à nos contrées, vous pouvez le constater. Enfin bon. Pour être tout à fait honnête, à l’écoute de leur folk intimiste et mélodieuse, il était difficile de les imaginer adeptes du viol et meurtre du touriste amateur de kayak.
Ce second EP des londoniens de Bear’s Den s’appelle Agape: terme grec de l’amour inconditionnel et qui touche au divin. Si le premier morceau au titre éponyme du EP porte plutôt bien son nom, chanson crève-cœur à faire sangloter les Hell Angels les plus durs, le reste du EP aurait très bien pu aussi s’intituler Storgê (amour familial) tant ces deux motifs de l’affection s’interconnectent les uns après les autres dans les morceaux suivants: peut-être plus particulièrement sur « Isaac », une métaphore de la dévotion religieuse mais qui évoque aussi le passage du père naturel à l’adoptif avec l’affection paternelle en témoin. « Mother » évoque assez brillamment de façon directe et abrupte le drame intime et familial de la violence paternelle, d’une mère abandonnée par ses enfants tout en laissant traîner un flou espoir de rédemption tandis que « When You Break », construit sur une longue montée en tension, sans doute le morceau le plus dur du point de vue sonore, semble traiter d’une désespérée et peut-être salvatrice reconstruction d’identité.
Vous ne trouverez ici rien de très novateur dans les thèmes ou les sonorités. Les plantigrades s’activent (et réussissent) plutôt dans le domaine de la chanson folk intemporelle, du solide et du concret, s’appliquant à faire fonctionner leur talent et leur technique de la manière la plus carrée et rigoureuse possible tout en laissant assez de place pour la symbolique, l’intimité et l’émotion. Ils savent mettre en scène une dramaturgie maitrisée, équilibrée et sans pathos exagéré. Même si le dernier morceau « A Year Ago Today » gagne le titre de maillon faible de la galette avec son parfum d’inachevé, en deçà de la tension des autres titres, l’ensemble est qualitativement d’une grande cohérence .
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.