C’est drone parfois comme on peut se tromper sur les choses (non, c’est une tentative de jeu de mot qui est lamentablement tombée à l’eau, pas une faute de frappe). Lorsque j’ai écouté pour la première fois Barn Owl, il y a de cela quelques mois, j’étais persuadé de tenir enfin un disque qui allait convertir nombre de mes proches à des sonorités plus expérimentales, plus étranges, plus chamaniques encore que celles que je me permets parfois de leur suggérer avec hésitation. Une sorte de fascination immédiate pour la dextérité avec laquelle le duo manie dissonances, mouvements distordus, larsens, pour en extraire une forme de beauté intense, un peu à la façon de Tim Hecker sur son Ravedeath, 1972 – mais sous une forme complètement différente.
Un concert du samedi soir, l’album sorti sur un label assez prestigieux (Thrill Jockey) et plutôt bien accueilli par la critique, une première partie dont le nom me disait vaguement quelque chose (On me rapellera plus tard que Jefre Cantu-Ledesma est une moitié de Tarentel, celle-là même qui n’officie pas au sein de The Drift et dont j’avais ainsi perdu la trace), voilà qui laissait espérer une affluence raisonnable. Ce ne fût pas le cas, puisque nous nous trouvâmes à peine une grosse dizaine de spectateurs sur le pont du Sonic à admirer passer les barges sur la Saône en tapant le bout de gras et en attendant patiemment que le premier set commence. Dieu merci, il ne pleuvait pas, et l’OL ne jouait pas ce soir là son dernier match de la saison sans quoi l’affluence aurait pu être encore plus catastrophique.
Jefre Cantu-Ledesma est donc accompagné ce soir d’une demoiselle, accroupie sur la scène à coté du musicien, et qui pose au dessus des strates sonores allongées une à une, et quelques motifs mélodiques plus marqués, des boucles de voix lointaines et réverbérées. Le niveau des effets auxquels la jeune femme a recours est tel que sa voix se confond pratiquement avec les sons de synthé et les guitares noyées au milieu et que c’en devient souvent difficile de la distinguer. Alors que les effets qui viennent habiller la guitare, eux, évoquent parfois Robin Guthrie, on pense aussi à une sorte de Dead Can Dance en plus minimal – et malheureusement un poil plus chiant aussi. La musique de ce premier duo se révèle plutôt agréable mais assez statique et une petite demi-heure de set est donc largement suffisante pour moi.
Le changement de scène s’effectue rapidement, les deux guitaristes de Barn Owl sont assis de part et d’autre de la scène, leurs amplis imposants disposés juste derrière eux et leur pédaliers d’effets devant – et on constate que la table sur laquelle repose le matériel de Jefre est restée en place… Y’aurait il du featuring dans l’air? Il y a des chances.
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Dès les premières notes on reconnait « Sundown », titre d’ouverture d’Ancestral Star, et ses riffs bien gras et bien inquiétants. Deux guitares vrombissantes se répondant, jouant à s’entraîner l’une l’autre, se relayant presque au sens littéral pour établir ce brouillard sonore massif et compact, discrètement mais toujours avec justesse. Les ambiances vont se succéder au gré des visuels projetés en fond visuel (films super8 d’images qu’on pourrait qualifier d’abstraites, nuages, champs, rien de trop original non plus), visitant des thèmes parfois contemplatifs, notamment lorsque la guitare de Jon Porras s’étire à l’aide d’un e-bow (ce petit outil magique que Dieu merci, quelques uns d’entre vous ignorent encore), puis d’autres passages plus abyssaux voire apocalyptiques. Le son des six-cordes, avec une lenteur assurée, joue aux montagnes russes et sa puissance vous fait parfois vibrer toute la cage thoracique – c’est délicieux – et toujours, la dynamique oscille entre l’est et l’ouest, d’où ces deux grattes envoient leur salves l’une après l’autre.
Comme on l’avait deviné, Jefre Cantu-Ledesma monte sur scène sur la fin du set pour deux morceaux, dont un en rappel (il semble, mais on n’en est toujours pas très sûr à l’heure qu’il est). La contribution du troisième larron s’avère assez peu convaincante – si d’un point de vue strictement musical les motifs qu’il amène aux compositions du duo ne sont pas désagréables, ils n’apportent en revanche aucun intérêt palpable – et ils viennent surtout perturber un équilibre parfait que le duo avait savamment mis en place, et sur lequel toute l’originalité et surtout la forte identité reposent: construire de tels paysages avec deux « seules » guitares qui se donnent la réplique est un exercice délicat qui se suffit à lui-même, et quand on y parvient avec une telle élégance, il n’est nul besoin d’en rajouter. une fausse note qui n’en est pas vraiment une mais qui à mes yeux coûtera à ce concert de Barn Owl le titre d’énormissime et ne lui laissera que celui d’excellent.
Photos: Hazam Modoff
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).
ArnD
En fait Jefre c’est plutôt 1/3 de Tarentel à la base ; ). Sinon la fille qui l’accompagnait c’est Lisa McGee, la copine d’Evan Caminiti (BarnOwl – à gauche sur scène), et qui est sa partenaire au sein de Higuma (2 formidables disques l’an dernier, et un excellent cette année sur Root Strata le label de…Cantu Ledesma). Quant au nouvel album deJon Porras (l’autre Barn Owl, qui évolue habituellement sous le pseudo de Elm) paru sous son propre nom, il s’intitule Undercurrent et fait lui aussi une très bonne impression. Vraiment surpris du peu de monde samedi… Et sinon, l’OL jouait bien son dernier match à Gerland, hein… Mais bon, c’est pas comme si ça valait la peine que je manque Barn Owl après en avoir vanté les mérites !