Jeune ami lecteur (ou lectrice) qui a vu tes poils pubiens pousser voici moins de vingt ans, sache-le, il a existé un temps où les jeux vidéos se chargeaient sur une lecteur de cassette audio (encore faut-il que tu saches ce qu’est une cassette audio, ce qui risque d’être compliqué si tu n’es pas un hipster branchouille). A cette époque sans doute plus proche à tes yeux des temps hyperboréens que de l’avènement de YouPorn, des jeunes boutonneux malodorants, tout comme toi, passaient leurs mercredis après-midis à maltraiter avec des mouvements secs et frénétiques le joystick de leur Amstrad CPC 464 pour casser des pixels gros comme la paume de ma main. L’une des obsessions majeures de ce déferlement de gouttelettes de testostérone était sans doute Barbarian: The Ultimate Warrior. La principale légende urbaine de ce jeu vidéo évoquait un coup secret particulièrement efficace permettant de trancher un ennemi en deux cubes de même taille. Nombreux sont ceux qui ont cherché pendant de longues heures cette combinaison mystérieuse en vain avant d’abandonner et de finalement soulager leur tension et frustration sur la photo de la pin-up hypertrophiée de la pochette du jeu, alors spécialiste des pages 3 du tabloïd Sun. Sexe et violence, on n’a toujours rien trouvé de mieux.
Même lourdement sexué, point de bikinis sur le point de craquer et d’érotisme bon marché sur Night Blooms, le nouvel album du groupe des homonymes de San Diego, Barbarian, mais plutôt une moiteur lourde, tenace et déviante, sombre. Le chant d’Andrew Mills est celui d’un crooneur ténébreux et menaçant comme sur un « Phantom Vibrations » chaud du cul. Sa voix s’incarne dans des tonalités new-wave mais rarement classiques à l’exception peut-être de l’addictif titre d’ouverture « Last Call Withdrawal », basse en avant et guitares flottantes, et du singulièrement tranquille duo « Hot Climates ». La musique est ainsi régulièrement traversée par des éclairs d’étrangetés comme ces solis de guitare désuets, échos distants et métalleux des premières années MTV, déstabilisant les évidences trop pop (« Brainbows ») ou autres gémissements de saxophone (« Mourning Sickness ») comme autant de plongées en apnée dans des polars eighties à l’esthétique artificielle et à l’ambiance poisseuse. « Pheromoans » expire des influences Talking Heads, les aisselles poilues bien hautes; effluves sexy sur rythmiques funky pour visages pâles. Plus habitué à partager la sueur des corps, il s’enferme parfois dans un rock claustrophobique et cloisonné sur « Into Thin Air » jusqu’à se libérer sur l’abrasif et va-t-en-guerre « Sunday Service ». « Lonely Mountains » est la parfaite conclusion de l’album réunissant sur quatre minutes sous tension toutes les caractéristiques doucement dissonantes, graves et menaçantes du disque. Le morceau conserve néanmoins cette enveloppe mélancolique et mélodique avec cette impression de gratter avec des ongles crades des obsessions humaines encore plus dégueulasses.
Il y a chez Barbarian une obsession manifeste et nostalgique pour le côté obscur et underground des années 80. Mais plus qu’une simple digestion, le traitement de Night Blooms se complaît dans une impureté stylistique pour produire une new-wave contemporaine, crapoteuse et crasse mais techniquement vraiment classe. Une atmosphère remplie de cauchemars esthétisants s’y décline en autant de vignettes aux reflets urbains et quasi-mystiques.
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.