Porta Ferrada à Sant Feliu de Guixols, Costa Brava, installé au bord d’une large calanque catalane, est un festival de toutes les musiques ( depuis 1958) . On a pu y voir Bob Dylan il y a quelques années, le vétéran de la soul britannique Tom Jones fin juillet, Gene Simmons ( Kiss) y sera mi-août. S’y retrouvent aussi des représentants du rock indépendant international telle Suzanne Vega et du pop/ rock catalan ou ibérique (Robe, Mar Pujol…) peu ou non connus de notre côté des Pyrénées. Au pied d’une haute falaise surplombée de pins maritimes et le long du quai de l’avant port, la structure est d’emblée accueillante, paraissant féerique sous des éclairages rouges et oranges, à 22h la nuit tombée.
Antonia Font est une formation indé majorquine, créée à la fin des années 1990. Immédiatement on la rapproche de l’esprit d’un Pascal Comelade, autre catalan ( Céret). Musicalement, ceci signifie surtout un répertoire sans véritable limite créative apparente et non cloisonné à un seul style. On entend ainsi du folk rock, de la pop , des envolées de guitare sonique et des mélodies à chavirer quand se combinent claviers et arpèges clairs de Stratocaster Fender. Artistiquement, le groupe mené par le compositeur et guitariste Joan Miquel Oliver et le chanteur / front man Pau Debon, ose une voie empreinte de liberté ( à tous les sens du terme), entre sophistication hautement musicale et pop qui fédère. Le chant en catalan est souvent narratif, enlevé , hâbleur parfois mais toujours bienveillant et chaleureux, également capable de séquences mélancoliques – cf un titre poignant donné a cappella. Il est peut-être trop présent ( à mon goût du moins) sur plusieurs chansons dynamiques et bien connues des fans catalans, ce qui leur confère un côté « grand public » qui n’est pourtant pas la signature caractéristique du groupe. Mais la personnalité de Pau Debon est généreuse, ce qui l’amène plusieurs fois à descendre de scène pour chanter avec les spectateurs enthousiastes du par terre jusqu’au sommet des gradins. On l’étreint.
En découvrant la formation qui m’était inconnue le matin même, je ressens des proximités avec des univers variés pour le moins: Belle and Sebastian ( pour l’aspect pop, folk rock), Radiohead ( pour les guitares qui grimpent dans les tours), Arab Strap pour ce qui relève d’une pop rock – electro n’oubliant pas le texte, Comelade pour les territoires expérimentaux explorés ou encore les français de Fauve, Feu Chatterton (pour l’humour second degré) et Dionysos. Il y a aussi une proximité avec certaines couleurs identitaires qui marquent, c’est heureux, un espace méditerranéen occidental, et veulent qu’on entende leur spécificité. En ce sens Antonia Font, basés à Palma, semblent les successeurs contemporains d’autres artistes iconoclastes comme Pau Riba, Jaume Sisa dont ils reconnaissent les influences.
Avant de finir le concert de deux heures par un long rappel, les cinq majorquins font lever les spectateurs et déclenchent une valse générale suivie, puis lancent un tube échevelé taillé pour le stade ( FCB ?) repris en choeur. Ils reviennent une seconde fois avec un étonnant titre sur les Baléares – entre rythmique chaloupée et riff London Calling (fallait le faire) que n’aurait pas renié Manu Chao, suivi d’ un de leurs succès pop « Oh la là », que le public catalan chante d’un bout à l’autre avec ou sans Pau Debon, battant des mains, au centre de la scène décorée d’antennes satellites – décor ne devant rien au hasard , le local et le global se rejoignant , à ce que j’en ai compris, dans le propos du groupe.
Les régions ont du talent, comme dit l’autre, c’est acquis. Pourtant leurs cœurs ne battent pas en hypermarché, transformés en produits de consommation interchangeables, il ne faut pas le perdre de vue. Mais doit on le préciser? « Différents mais tous égaux » ont chanté les Antonia Font.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.