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ChroniquesDisques

Anthony Reynolds/ A Painter’s Life

En 2002, Anthony Reynolds signait avec Jack sur le label belge Les Disques du Crépuscule, et on s’était dit que le groupe formé depuis 1993, y trouverait enfin sa place idéale. Lâchés par Too Pure, les anglais revenaient de loin et l’accueil belge permit la  publication cette même année de The End Of The Way It’s Always Been, avant une première tournée européenne d’importance. Elle serait aussi la dernière.

Issus de la même mouvance que Tindersticks ou Pulp, Jack est toujours resté en arrière de ces formations en termes de succès public. Ceci malgré un song writing – celui de Reynolds et Kirk Lake (co-auteur pour The Jazz Age, 1998) – qui ne laissait pas grand chose au hasard, mais se révéla peut-être trop changeant pour fidéliser? Groupe aux musiciens nourris de Bowie, Roxy Music et Scott Walker à l’heure où Oasis écrasait la scène britannique, Jack présenta une image qu’on ne cernait pas aisément et donna quelques concerts chaotiques lesquels n’arrangèrent rien. En 2002 ce qui était implicitement l’album de la dernière chance, fut une nouvelle fois un opus dense et contrasté. Portant l’empreinte de l’école Factory records, comme celle des influences sixties, pop,  orchestrales et baroques de Reynolds, The End Of The Way It’s Always Been rapportait par ailleurs les points de vue de trentenaires  déjà blasés, sinon déconfits, à l’heure des premiers constats. Les possibles challengers ne récoltèrent que les applaudissements d’une poignée de fans, surtout français. Pas de quoi se maintenir en selle. Et Setanta (label de Hawley, Divine Comedy, Edwin Collins) avait dit stop, un peu plus tôt, après deux tentatives sous le nom de JacquesHow To Make Love (1997) avec Momus et To Stars (2000) – annulant la sortie d’un nouveau projet.

Après ça, l’aventure collective était terminée.

A Cardiff, sa ville d’origine, Anthony Reynolds n’est pas un homme du renoncement. L’âme et l’esprit sont en alerte; l’artiste pétri de littérature et de culture, aime à se raconter. En solo, il n’a jamais cessé d’écrire musiques, chansons et poésies; tout en poursuivant un travail d’auteur – biographies musicales – et de journaliste. Je l’avais presque oublié, faute d’information, après English Ballads en 2007, album de folk et de pop hautement recommandable, dont la critique ne parla qu’insuffisamment. C’est par hasard que je le retrouve avec quelques mois de retard, pour la sortie de A Painter’s Life (Août 2019, chez Rocket Girl Records).  Une belle surprise dont la piste me fût brouillée quelques heures par Smoking is my life , LP téléchargeable de quatre titres, son prédécesseur de quelques semaines, aux titres croisés avec ceux de la parution d’Août. «Les rumeurs sur ma mort furent très exagérées», me dit Reynolds avec humour en message personnel. C’est une évidence.

L’objet disque est beau et le visuel de pochette montre l’auteur-compositeur  avec l’allure d’un Ernest Hemingway barbu, qui serait aussi artiste peintre du Montparnasse parisien d’après guerre. Le style est celui des illustrations des romans, polars ou romans-photos bon marchés des années 1950, qu’on pourrait trouver aujourd’hui, objets de collection, chez les bouquinistes du bord de Seine. Le choix n’est pas gratuit.

«I want to live in a certain kind of light / I want to paint my masterpiece at night» déclare le chanteur épaissi, de 49 ans, en première phrase chantée du magistral «A Painter’s Life» qui donne son titre à l’album. S’il avoue en interview être le pire peintre qui soit, on a bien saisi la métaphore. Les chansons reprennent des traits musicaux caractéristiques chez Reynolds – une pop indépendante cultivée, très orchestrée, volontiers expérimentale – ; comme revient un style narratif – l’autofiction – pour l’écriture des textes. L’ex leader de Jack s’est entouré ici de collaborateurs de longue date – Kirk Lake – et de guests venus de Japan, 60th Dolls, Dub War ou de PlaceboFiona Brice, violoniste et chef d’orchestre – qui montrent son éclectisme et ses exigences de compositeur.

«Je suppose que je cherche à faire naître la beauté de la laideur. Ou j’essaie» confie-t-il dans un entretien lisible sur le site de Darla.com. «La laideur qui est parfois dans ma vie. Ou dans la société dans laquelle je vis». Le Gallois semble croire que l’art aide à cela. Lui qui a habité Paris aime ainsi une certaine culture française. «Yves Saint Laurent» en témoigne, avec sa voix féminine samplée , en français, très Nouvelle Vague et post moderne, qui répète «Si seulement la vie était couture». La phrase est énigmatique; rêve d’une vie enfin à la vraie mesure de soi? «I was born » est autobiographique ou une fiction qui évoque son auteur. Comme «My Hometown» et «Tidal Sidings», titres qui dépeignent le Cardiff de l’artiste, via ses rues favorites, bars ou arrêts de bus. On apprécie le piano et les violons d’une pop millésimée, qui oscille entre cabaret, influence d’Aznavour et pop expérimentale. «Have You Heard  From Her Lately» est une plongée chez Scott Walker (encore!), réussie dans le style et l’esprit, avec ce qu’il faut d’expérimentations sonores et de baroque. «In A Cafe At The End Of The World» en est une version étendue. Introduite par un arpège de mellotron, la pièce musicale en impose: par son atmosphère, ses accords plaqués sur un piano d’un classicisme qui laisse entendre toute la virtuosité musicale de Reynolds et des nappes de violon qui portent un talk over précédant le chant.

Littéraire, poétique et intense A Painter’s Life est un album au romantisme revendiqué, ici valeur ajoutée, loin des poncifs qui laissent l’auditeur sur sa faim. Il offre une musique riche qui s’adressera de façon privilégiée aux mélomanes et amateurs curieux. L’un des disques pop les plus stimulants de la fin 2019.

 

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