Ce lundi après-midi de mai, événement exceptionnel sur la capitale au vu des tristes semaines qui allaient suivre, il faisait beau et chaud. En fait, la chaleur était si pesante que j’allais débarquer en retard, essoufflé et suintant de sueur à mon rendez-vous avec Megan James (chant) et Corin Riddick (machines, percussions) de Purity Ring. A cette époque, peu d’informations avaient filtré au sujet du groupe : quelques chroniques dithyrambiques pour des titres de pop électronique glacée mais paradoxalement sensuelle et fantasmée, sortis sur près d’un an et demi, et des prestations scéniques doucement techno mystiques, une poignée d’interviews sur le web, une signature sur le légendaire label 4AD, une vidéo « Godzilla meets Alice in Wonderland meets Pinocchio » pour le parfait « Belispeak » – et finalement un album intitulé Shrines programmé pour l’été (dont on parle plus en détail ici, NDLA).
Mais finalement, c’était bien assez pour attiser la curiosité pour un univers que l’on imaginait déjà richement fourni et complexe. Tout au long de cet entretien, Megan et Corin allaient afficher une conviction évidente et débarrassée de doutes dans les qualités de Shrines et plus généralement de leur musique. Une conviction qui se basait non pas sur une forme d’arrogance de jeunes présomptueux mais sur la confiance en un travail de qualité réalisé avec patience et détermination, construit sur un équilibre précaire mais contrôlé de précisions mathématiques, d’expérimentations heureuses et de bouffées de subconscient. Ils avaient raison.
Vous venez originellement d’Edmonton au Canada. A quoi ressemble la vie là-bas?
Megan : Edmonton est une ville très sympa. Corin et moi nous y sommes rencontrés par l’intermédiaire d’un de nos amis mutuels. Il y a beaucoup de choses intéressantes qui s’y déroulent en terme de concerts ou d’activités artistiques. Mais d’un autre côté, c’est une ville assez isolée, tu t’y sens rapidement assez piégé. Même avant Purity Ring, nous avions compris qu’il allait falloir la laisser derrière nous.
Corin : Si tu veux juste trouver du taf, y’a pas de problème mais si tu désires développer tes activités artistiques, il n’y a finalement pas vraiment beaucoup d’endroits où tu peux aller. Tu en fais rapidement le tour.
La première fois que j’ai lu quelque chose à votre sujet, c’était suite à votre prestation au South by Southwest Festival. L’article vous décrivait comme l’un des dix groupes les plus prometteurs de 2012. Mais après avoir écouté votre musique, que j’ai trouvée à la fois sensuelle et enfantine, je me suis posé des questions sur le choix de votre nom qui m’a semblé assez ambigu et ironique.
Megan : Lorsque nous avons choisi le nom de Purity Ring, nous n’avions même pas idée de cette ambiguïté dont tu parles. Nous voulions juste sortir un single sous un nom qui nous semblait catchy, plutôt marrant avec en même temps cette connotation assez sérieuse.
Corin : Nous l’avons choisi à cause de l’articulation des syllabes, de la sonorité des mots. A ce point, il s’agit juste d’un nom pour notre musique. Rien de plus.
Corin, quand tu as commencé à écrire la musique de Purity Ring, avant de collaborer avec Megan, avais-tu une idée claire du style musical vers lequel tu voulais tendre?
Cela faisait déjà un bon moment que j’essayais de produire ma propre musique électronique. Même sans vraiment savoir où j’allais, après avoir fini mon premier morceau, je me suis rendu compte qu’il ne pouvait pas être uniquement instrumental et qu’il était nécessaire d’y ajouter du chant. J’ai donc proposé à Megan d’essayer après l’avoir entendue chanter. Je savais déjà ce dont elle était capable mais même en connaissant tout cela, je n’arrivais pas à m’imaginer quel pourrait être le résultat musical de cette association. Au final, j’ai été très agréablement surpris, mais l’ensemble est surtout la conséquence d’une expérimentation heureuse.
Est-ce que le fait d’avoir tous les deux fait partie de Gooble Gooble (groupe électro clash d’Edmonton) vous a aidé pour composer ou travailler ensemble?
En fait, je n’ai jamais composé pour Gooble Gooble mais juste joué de la batterie pendant leurs concerts.
Megan : Corin a fait partie de Born Gold (nouveau nom de Gooble Gooble) plus longtemps que moi. Je n’ai joué avec eux que pendant un mois. Auparavant, je jouais du piano en solo. Born Gold nous a permis de nous rencontrer mais c’est notre propre travail solo qui nous a fait collaborer.
Les choses semblent s’être déroulées plutôt facilement pour vous.
Corin : D’un point de vue extérieur, cela peut paraître le cas. Mais pour nous, ça a été extrêmement difficile de créer le disque, nous y avons consacré beaucoup de temps et énormément de travail. Mais c’est vrai que pour ce qui est de faire écouter notre musique, cela s’est passé très rapidement.
Tu as la réputation d’être un perfectionniste…
Oui, c’est vrai. Même si je laisse une totale liberté à Megan pour ce qui est des paroles, je suis un perfectionniste pour ce qui concerne la qualité ou le type de son que je désire.
…et aussi de prendre ton temps pour la composition.
Je travaille énormément sur mon ordinateur portable pendant nos tournées. Beaucoup de nos chansons ont débuté de cette manière. Souvent je commence de petites idées sur lesquelles je reviens plusieurs mois après en incorporant de nouveaux éléments.
Quelle est la sphère d’intervention sur le travail de chacun?
Megan : Nous n’échangeons pas vraiment d’indications entre nous. Nos rôles sont bien définis et séparés et nous avons la chance que cela fonctionne naturellement bien.
Corin : Je ne m’occupe en aucun cas des paroles et Megan ne s’occupe pas de la musique ou de la production. Les seules indications que je lui donne parfois sont de changer une note ou de rallonger ou raccourcir une partie afin que le débit soit meilleur.
Megan : Et vice-versa. Mais rien de plus, vraiment.
Corin : Nous ne sommes pas une démocratie parce que nos rôles dans la composition sont vraiment précis. C’est bien plus une collaboration. Une fois que Megan a enregistré son chant, je travaille beaucoup : je reécris le morceau, je réarrange son chant, je l’échantillonne, je change l’ordre dans lequel il a été enregistré. Mais il n’y a vraiment pas de problème d’ego à ce niveau. Nous tombons toujours tous les deux d’accord sur le fait que cela sonne mieux une fois ce travail effectué.
Megan : Nous faisons tous les deux des choses différentes mais nous sommes au même niveau quant au résultat espéré.
Corin : Si j’estime que cela sonne juste, Megan pense la même chose même après voir retravaillé ou passé son chant à la moulinette.
Qu’est-ce que cela représente pour vous d’être signé sur 4AD?
Megan : Il y a quelque d’assez inspirant au fait d’avoir signé chez eux. Ils ont collaboré avec tant de groupes importants et ont sorti de si nombreux disques devenus depuis des classiques. C’est un label légendaire et c’est excitant d’en faire partie.
La signature sur 4AD est-elle la raison pour laquelle la sortie de votre album a été plusieurs fois repoussée?
Megan : Non. L’album n’était juste pas prêt. Nous voulions le sortir au début de l’année mais ces choses-là te prennent toujours plus de temps que tu ne l’estimes.
Corin : L’été dernier, nous l’avions annoncé pour le mois de Janvier et nous pensions sincèrement le sortir à ce moment. Mais nous n’avions pas conscience du temps qu’il allait falloir y consacrer en plus de tout un tas de détails qu’il allait falloir régler. Finalement nous avons juste décidé de prendre le temps qu’il fallait et de ne pas nous précipiter.
Megan, tu utilises des parties de ton journal intime pour les paroles des chansons.
Megan : En effet, j’ai un journal intime que je tiens régulièrement à jour et je pioche dedans pour les chansons. Mes paroles sont difficiles à déchiffrer mais c’est vraiment la manière dont j’écris. J’utilise souvent des symboles et j’essaie ensuite de comprendre ce que j’ai voulu exprimer ce qui est parfois, même pour moi, assez compliqué. Écrire de cette manière est assez sécurisant car c’est une garantie que les gens qui écouteront les paroles pourront les analyser à leur manière et ne partageront sûrement pas ma propre interprétation. Cela crée une relation indirecte avec l’auditeur mais pas impersonnelle pour autant. Ainsi il est plus facile d’exposer publiquement ces mots pour lesquels j’ai un attachement intime, sincère et profond.
J’ai lu que vous n’étiez pas prêts au moment des premiers concerts…
C’est vrai que nous n’étions pas prêts et sous pression. Mais après deux semaines de réflexion, nous savions ce que nous voulions et de toutes manières, nous n’avions plus le temps de nous retourner.
Corin : On a engrangé pas mal d’expérience et le set a sensiblement évolué depuis nos débuts. La base est la même mais nous avons rajouté bien plus d’aspects visuels.
Megan : Avoir des choses à regarder rend les choses plus intéressantes. Il est tellement facile pour de la musique électronique de n’avoir rien à montrer ; cela se résume souvent à un chanteur et un ordinateur portable. Il était vraiment excitant pour nous d’imaginer un spectacle à la fois agréable à jouer et interactif avec le public.
Avez-vous pensé à rajouter des musiciens pour vos prestations live?
Corin : On y a pensé mais dès le début, je m’y suis opposé et nous n’avons même pas essayé.
Megan : Nous savions que nous ne voulions pas d’instruments acoustiques comme une guitare, une batterie ou même des claviers. Même si nos chansons sont remixées et manipulées en live, nous essayons de réaliser sur scène une représentation de notre musique aussi littérale que possible, ce qui veut dire : nous deux sur scène et les mêmes sonorités que sur le disque.
Corin : Nous avons décidé de ne pas avoir de guitaristes ou de batteurs sur scène, parce que les chansons sont produites d’une manière tellement précise au niveau des parties enregistrées de percussions ou des synthétiseurs, et j’ai passé tant de temps à les sélectionner, que je n’ai jamais voulu que, par exemple, un batteur ruine mon morceau en live. Ce n’est même pas tant le problème du talent du musicien que la manière dont toutes les fractions sonores de notre musique résonnent et se répondent entre elles. Nous serions totalement incapables de réaliser un set satisfaisant si nous devions incorporer des instruments live.
Est-ce que vous pourriez m’en dire plus sur la vidéo de « Belispeak »? Elle semble être la première partie d’une histoire plus longue…
Megan : En fait, il s’agit de la première partie d’une histoire sans fin, une histoire circulaire. Je suis mangée par un monstre, je grandis dans son ventre et je m’extrais de sa bouche avec sa peau comme vêtements avant de voir des monstres plus grands à l’horizon. C’est une histoire circulaire dans la mesure où l’histoire peut se répéter. Ce n’est pas notre idée initiale en fait. Nous avions proposé un pitch différent.
Corin : La boîte de prod a construit une histoire à partir des éléments que nous avions fourni dans notre traitement puis en rajoutant beaucoup de leurs propres idées sur le morceau.
Megan : C’est une vidéo qui colle vraiment bien à la chanson même si je pense qu’elle a intentionnellement un côté un peu confus.
Quelques mots sur votre album Shrines ?
Nous sommes vraiment enthousiastes et impatients de le voir sortir.
Corin : Nous sommes satisfaits d’avoir eu le temps de le produire et de le terminer comme nous le désirions. Désormais, nous sommes prêts à ce que les gens l’entendent même si nous aurions préféré qu’ils puissent l’écouter depuis un bon moment maintenant. D’un point de vue sonore, les chansons portent toutes la même signature mais Il y a des variations très importantes sur l’album que ce soit en terme d’humeur ou de rythmes.
Certains journalistes ont qualifié votre musique de future pop.
Megan : Il m’est toujours difficile de définir notre musique mais c’est un terme que nous apprécions beaucoup.
Corin : C’est une définition à la fois vague et évocatrice qui appelle à l’imagination. Personne ne sait à quoi va ressembler la pop du futur, il est donc particulièrement gratifiant que des journalistes définissent notre musique de cette manière. De notre côté, lorsque nous composons, nous ne le faisons pas d’une manière passéiste ou nostalgique, nous désirons réellement aller de l’avant. Donc future pop est un terme approprié.
Quelle est la prochaine étape pour Purity Ring?
Nous n’avons pas travaillé sérieusement sur quoi que ce soit depuis Shrines. Nous n’essaierons d’ailleurs certainement pas de le faire pendant un moment ; en tous cas pas avant de savoir précisément ce que nous désirons et de nous sentir prêts. Nous voulons absolument éviter de nous répéter. La musique que nous produirons dans le futur sera reconnaissable puisqu’elle viendra de nous mais elle ne possédera pas les mêmes caractéristiques. Nous l’envisageons nous aussi comme une nouvelle étape mais comme nous ne savons pas encore quelle sera celle-ci, nous préférons ne pas nous y attaquer pour le moment.
« Fineshrines » (clip officiel)
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En concert le 18 novembre au Sonic (Lyon)
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.