Le duo Crocodiles de San Diego, Californie, mué pour sa tournée européenne en quintet, a le vent en poupe. Album de la semaine sur Canal, révélation des Transmusicales, Coup de coeur des Inrocks… Un succès dont Brandon Welchez (chant/guitare, à gauche sur la photo) se réjouit sans perdre de vue la réalité d’un milieu dans lequel on ne rechigne pas à abandonner ses premières amours au fond d’un trou béant. De notre coté, on avait chroniqué, dès son éclosion, le premier album Summer of Hate – brûlot raffraîchissant surfant sur le revival noise pop / shoegaze auquel Welchez et et Rowell insufflaient une espèce d’urgence et d’insouciance adolescente. Puis Sleep Forever, sorti chez Fat Possum à la rentrée dernière et tout juste paru en France via Differ-Ant, qui dévoile des contours un tantinet plus sombres mais toujours avec la fougue et l’esprit pop qui nous avaient séduits. Rencontre express avec el señor Welchez pour en apprendre un peu plus sur ces deux jeunes reptiles, juste avant le set épileptique que le groupe s’apprête à offrir au public du Sonic deux heures plus tard.
DG: Maintenant que les présentations sont faites, je peux te dire que j’étais là lorsque vous aviez joué au Sonic il y a dix huit mois, tu t’en souviens?
Brandon: Ha ha, oui! On était arrivé super tard… Nous venions de Paris, où notre basse avait été volée ce qui nous avait retardé… Notablement.
J’avais trouvé à l’époque votre son live surprenant, les chansons jouées plus vite, les guitares beaucoup plus dissonnantes et criardes que sur le disque, beaucoup plus d’énergie en somme. Qu’est ce qui rend un concert meilleur que les autres – de ton point de vue?
Si le son est bon sur scène, ça aide, bien sur. Et puis nous jouons ensemble depuis quelques temps maintenant, nous évoluons donc dans un cadre défini. Quand tu fais de la musique avec d’autres personnes, il se passe quelque chose, tu partages cette connexion psychique. Quand ce truc devient véritablement palpable, ça procure une grande satisfaction. Et puis évidemment, un public enthousiaste ça joue aussi. Mais pas toujours – tu peux aussi prendre ton pied en jouant devant des gens qui te détestent. Parfois, c’est même plus drôle! Mais vraiment, la plupart du temps, on aime jouer. On arrive toujours à s’accommoder des conditions.
Tu parles de cette relation entre les membres d’un groupe… Vous êtes un duo au départ, et le line-up a pas mal évolué. Comment cela a t’il influencé votre façon de travailler, d’écrire? Est ce que Crocodiles est un quintet désormais?
Pour les concerts, oui, complètement. Pour le reste, Charles et moi continuons de garder la main sur l’écriture et l’enregistrement. Notre joueuse de clavier joue et chante sur quelques titres de l’album. Pour la première tournée, nous avions proposé à des amis musiciens de partir avec nous, en proposant un peu d’argent, les billets d’avion pour partir, si ça les branchait… Mais le line-up actuel, tant au niveau artisique que socialement, offre la meilleure configuration que nous ayons eu jusqu’à maintenant. Il y a une vraie alchimie, et après une tournée comme celle que nous nous apprêtons à finir, ça serait vraiment étrange de nous séparer d’eux. Donc oui, d’une certaine façon je peux répondre « oui » à ta question. Je ne sais pas encore ce que nous ferons pour le prochain disque, on verra. Je ne suis pas sur que Charles et moi soyons prêts à abandonner notre monopole sur le songwriting, on y est attaché depuis le début, mais potentiellement, je vois bien les autres participer aux enregistrements. Je ne sais pas, vraiment. On verra en septembre! Prenons une chose à la fois.
L’enregistrement de Sleep Forever a t’il été très différent de celui de Summer of Hate?
Et bien… Summer of Hate a été enregistré au home studio de notre ami John, au fur et à mesure que nous finissions les chansons. Il nous fallait aussi les pistes de batterie et de basse pour jouer live. Nous avons donc assemblé les morceaux que nous voulions une fois que nous avons jugé en avoir assez pour faire un disque pas trop dégueulasse. Sleep Forever a été enregistré en studio, en dix jours, avec un peu plus de moyens, mais nous voulions rester honnêtes et garder l’esprit brut du premier disque. Nous avons fait attention à ne pas sonner comme de la merde, c’est un deuxième album et en tant que tel, il doit être meilleur – mais on ne voulait pas faire un album à la U2, trop éclatant ou trop produit. J’aurais détesté çà.
Vous avez plutôt bien réussi votre coup alors, c’est mon sentiment et je crois que c’est plus ou moins ce que j’ai lu un peu partout à son sujet.
Je pense qu’il est plus cohérent, oui. Les chansons de Summer of Hate n’ont pas été écrites dans l’idée de composer un album, ce sont simplement des morceaux que l’on enregistrait pour la « postérité »… Nous ne pensions même pas qu’un label les sortiraient un jour. Forcément il sonne de façon un peu plus éparpillée, pas vraiment homogène.
Peux tu nous parler de cet EP (Fires Of Comparison, disponible en téléchargement gratuit sur le site de Fat Possum, ndla), sorti juste avant Sleep Forever?
Les gens de Fat Possum nous ont simplement demandé d’enregistrer quelques titres, qu’ils pourraient donner gratuitement pour aider à promouvoir l’album. Nous avons été en studio, sans rien avoir écrit d’avance, nous avons acheté un gros paquet de beuh et improvisé tout çà en deux jours. Cette partie-là n’est pas précisée dans le communiqué de presse [Rires]. Sans aucune pression, quoi, juste pour s’amuser. Ce n’est pas trop dans nos habitudes de procéder comme çà pour écrire, nous tenons beaucoup au coté « pop-song » de nos morceaux. C’est très important pour nous qu’ils soient aboutis et bien travaillés.
C’est vrai que cet EP sonne assez différemment de tout ce que vous avez sorti! Une sorte d’image très éphémère – et inattendue – de votre musique…
Oui. Tu sais, nous étions persuadés que ce truc serait juste de la merde pour internet, et que de toute façon, personne n’écouterait çà. Mais c’était marrant d’expérimenter un peu, nous avons été très agréablement surpris du résultat. Du coup, un de nos amis nous a proposé de le sortir en vynil. Je crois qu’on va le faire! Cette idée me plait bien. Nous voulions le faire à temps pour les vendre pendant la tournée, mais ça n’a pas été possible.
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Vous avez été décrits par un des blogs que j’ai lu comme un groupe de « noise-pop anti-fasciste ». Je n’aurais pas été jusqu’à employer ce terme-là – mais est-ce que tu le trouves justifié? Ou est-ce juste une étiquette stupide de plus?
[Rires] C’est drôle comme tu peux dire ou faire un truc une seule petite fois dans la vie, et comme ça peut devenir énorme et exagéré lorsque les gens écrivent… De là à classer notre musique de cette façon! Enfin ça me laisse indifférent. C’est internet…
Celà dit, c’est un peu l’histoire de l’origine du groupe, toi et Charles vous êtes rencontrés à une manif anti-fachos… Non?
Oui, c’est vrai, on devait avoir dix-sept ans. C’est plutôt cool, c’est une anecdote intéressante, même si je ne pensais pas que cela nous poursuivrait de cette façon. Parfois, quand les gens viennent à notre rencontre ils s’imaginent qu’ils vont trouver un groupe super engagé, ce qui est assez loin d’être le cas. Je crois que si je devais écrire et composer sur ce genre de sujets, je ne m’en sortirai pas bien du tout, ça sonnerait naïf ou démago. Nous sommes engagés, bien sûr, mais en tant qu’individus. J’ai mes convictions, chacun des membres du groupe a aussi les siennes. Par nature, le fait d’être artiste, musicien, fait de nous des gens plutôt de gauche. Et d’évidence, le style de vie que nous avons choisi est déjà en soi une prise de position politique. Nous ne sommes pas allés à la fac, nous n’avons pas d’emploi fixe… Je crois que le fait de vivre en société est déjà une prise de position politique: qui peut faire autrement? Si quelqu’un me demande ce que je pense à propos d’un sujet en particulier, je serai heureux de lui répondre. Nous ne sommes pas un groupe engagé dans nos textes et nos chansons, mais la politique nous concerne. Comme tout le monde.
Crocodiles : « Kill Joe Arpaio »
[audio:http://www.indierockcafe.com/2010/Crocodiles_Kill-Joe-Arpaio.mp3]
Tu fais allusion à ce titre instru que vous avez intitulé « Kill Joe Arpaio »?
Oui, entre autres. Joe Arpaio est le shériff d’un des contés d’Arizona mais surtout un politicien de droite très connu pour sa politique anti-immigration. C’est un vrai connard. Il a entendu parler de nous, et de cette chanson sur Fires of Comparison, et c’est plutôt cool parce qu’il est assez célèbre aux Etats-Unis, et les gros médias ont eu vent de l’histoire, alors que sa réaction a été vraiment pathétique – il a répondu sur sa page tweeter un truc du genre « ils peuvent me sucer la queue », sans le moindre soupçon d’intelligence! Quelques journalistes se sont intéressés à l’affaire et finalement je n’en suis pas mécontent – parce que s’il pouvait y avoir le moindre doute sur notre position politique de ce point de vue, ça a rendu les choses claires comme de l’eau de roche.
Parle moi de ces incroyables reprises que vous avez faites! « Jet Boy Jet Girl », « Groove Is In The Heart »…
C’est le coté totalement psychédélique de « Groove Is In The Heart » qui nous plaisait, et aussi bien sûr le fait que c’est un titre qui tournait en boucle sur MTV quand on était gosses et qu’on rentrait de l’école. C’est indéniablement une part de notre enfance! « Jet Boy Jet Girl », j’ai connu cette chanson par la reprise qu’a faite The Damned quand j’étais ado. Depuis que j’ai quatorze ans, je me dis « ce morceau est tellement cool, si j’ai un groupe un jour je la jouerai! ». Quand tu es ado, tu veux juste choquer les gens, y aller à fond dans la provoc’. C’était exactement ce que cette chanson représentait pour moi à l’époque, des textes explicites (ndla, la version anglaise parle d’un garçon de quinze ans que son amant quitte pour une fille). On la reprenait aussi avec mon premier groupe.
C’est drôle, parce que dans sa version chantée en Français, cette chanson est sans doute une des plus débiles de l’histoire du rock.
Ah oui! « Ça Plane Pour Moi » par Plastic Bertrand, c’est çà? (ndla, avec un accent Français tout à fait correct). Oui, je me souviens maintenant, « I’m the king of the couch », ce genre de trucs qui ne veulent rien dire. La version que je préfère est celle d’Elton Motello. J’ai entendu celle de Plastic Bertrand après celle de The Damned, quand j’avais dix-sept ou dix-huit ans, puis j’ai découvert celle d’Elton Motello plus tard…
Tu as l’air très influencé par tous ces groupes, bien que vous soyez de San Diego je trouve que Crocodiles a parfois une sensibilité très « British »…
[Rires] Oui, les gens disent çà… Ce n’est pas fait exprès! Parfois on dit aussi qu’on sonne comme tel ou tel groupe, comme le Velvet Underground, ou The Jesus & Mary Chain… C’est plutôt flatteur de mon point de vue. Ces groupes sont mes idoles.
Avez vous senti une différence à ce sujet lors de vos premiers concerts en Europe, dans l’accueil réservé à votre musique par le public?
Oui, clairement. D’abord, parce qu’on avait une certaine exposition auprès des médias lors de notre première tournée ici. Fat Possum avait préparé le terrain et fait pas mal de promo. Aux US, nous avions tourné deux fois sur la côte Ouest avant que Summer of Hate ne sorte, nous avions nous-même trouvé les concerts et organisé les dates. Forcément, on a trouvé le public plus réceptif en Europe. Après, je ne sais pas te dire à quel point cela est en lien avec la musique elle-même. A présent, c’est souvent la même chose. Certaines villes sont connues pour avoir un public de dingues, d’autres pour avoir un public chiant mais dans l’ensemble c’est pareil partout. Nous sommes très bien accueillis la plupart du temps.
Dernière question: Trois disques incontournables dont tu ne pourras jamais te lasser?
Mmm… Je vais plutôt te dire trois groupes: le Velvet Underground, les Beatles, et les Ramones. C’est évident, tu vas me dire, mais c’est évident parce que c’étaient juste les meilleurs, quoi! Depuis que je suis gamin j’écoute ces groupes. Les Sex Pistols aussi… bon, ça fait quatre!
On s’en arrangera! Merci… See you later alligator!
Désolé pour la vanne, on doit vous la faire tous les jours…
[Rires] Oui, on devrait peut-être changer de nom!
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).
stéphanie J.
Tu as vraiment fait la vanne !
« Lionel DarKGlobe : humoriste !!!! »
sinon très bien cette itw.
Clap ! clap ! clap !