Histoire de célebrer la reprise des hostilités concertesques en cette rentrée 2008-2009, Ostrobotnie (alias Pierre) a eu la bonne idée de nous proposer une nouvelle visite des américains d’Enablers – formation désormais chouchoutée par son public lyonnais qui s’était déplacé (relativement) nombreux, et qui le lui rend bien. Histoire de rendre la fête encore plus folle, un showcase était même proposé en fin d’après midi à la librairie qu’on qualifiera « d’alternative » Grand Guignol, montée de la grande côte…
Un peu essoufflé (t’as déjà porté un ampli de 30 kilos dans les pentes de la Croix-Rousse toi? Bon alors), j’entre dans la librairie. Kevin est là, en train de feuilleter un bouquin illustré de photos noir et blanc, intitulé « No Wave ». « Putain, regarde moi ça. » il me dit. « Les gens disent qu’on est influencé par Slint, Shellac, et tout çà, mais non. C’est eux qui m’ont le plus inspiré. Regarde tous ces zicos, bordel ».
Une excellente entrée en matière pour la soirée… C’est Kevin Thompson (le guitariste aux binocles) qui ouvre la représentation, en solo. Jazzmaster nue, directement branchée dans le Vox (le mien! Je ne m’étais d’ailleurs pas encore rendu compte pas qu’il sonnait aussi bien), ce sont des chansons au visage minimaliste qu’il dévoile, glissant lentement d’une folk adoucie par la rondeur des sonorités de guitare (il joue sans médiator en frottant simplement les cordes avec son pouce, comme pour les carresser), vers des textes introspectifs noircis par la mélancolie. une demi-douzaine de morceaux plus tard, après que le musicien ait confessé la tristesse de ses chansons et interprété un air plus enjoué, c’est Pete Simonelli qui prend le micro pour une lecture de textes et de poèmes de sa composition – en anglais donc. Malgré l’élocution du chanteur (il articule parfaitement, et on n’a aucun mal à comprendre les mots qui sortent de sa bouche) la richesse du vocabulaire rend tout de même l’éxercice difficile, et il est ardu de saisir le sens de chacune de ses phrases. Mais dans les grandes lignes, on comprend l’histoire, le thème, la conclusion. C’est agréable de profiter de la voix du vocaliste, sans aucun « artifice musical », sans les montagnes russes rythmiques qui viennent appuyer ou diluer (au choix) la narration. C’est une toute autre discipline dans laquelle il montre un grand savoir faire. La lecture s’achève sur celle d’un poème extrait du premier album, End Note. Parfaite transition là encore puisque Simonelli est maintenant rejoint par le reste de la formation. Le groupe offre une prestation d’une petite heure, jallonnée de titres du nouvel album Tundra (dont l’étonnant titre d’ouverture, A blues), et d’autres auxquels il nous a déjà gratifié sur scène par le passé. « Any requests? » lance Pete. Effrayé de ne pas la voir figurer sur la playlist de ce soir, je réponds un « Paul’s Days! » quelque peu hésitant. « Yeah! The most quiet Pauly’s days!! Cool » répond Kevin, visiblement content de ma requête, en entamant le riff incontournable de la non moins inévitable Pauly’s days in cinema. Après cette mise en bouche, une seule conclusion. La barre est hautement placée. Il va faire chaud au Sonic ce soir!
Et ce n’est pas qu’une métaphore malheureusement. Il fait environ moins soixante treize degrés celsius dehors, on frôle le zéro absolu, alors évidemment les douze pulls favorisent un peu la sudation une fois dans la péniche. Heureusement la bière est fraîche (on dirait presque que c’est calculé tout ça) et on s’abreuve en découvrant sur scène The North Bay Moustache League, un duo mixte reprenant les standards country folk américain à coups de guitare acoustique, de banjo, d’harmonicas et de doubles voix bien placées. A première impression, dit comme ça, ça n’a rien de très glamour. Néanmoins, je me surprends à aimer ça. C’est maîtrisé, mais pas trop (juste ce qu’il faut pour que ça ne ressemble pas à un concert de musique baroque) et la chanteuse pousse même l’exercice jusqu’à porter jeans et chemise à carreaux pour ne pas dépeindre avec sa musique (j’espère que c’était fait exprès – sinon mon joli compliment va lamentablement tomber dans la Saône). Repensant au « Dude » des frères Coen en train de fumer son splif dans sa vieille Ford toute pourrie, je n’arrive pas à m’empêcher d’esquisser un sourire en entendant les deux musiciens reprendre Looking Out My Backdoor de Creedence. Puis c’est Johnny Cash qui fera l’unanimité juste un peu plus tard. Bref, si « originalité » n’est peut-être pas le maître mot pour caractériser le duo (encore qu’il en faut un peu pour venir jouer du Creedence au Sonic, j’en conviens volontiers), c’est spontané, c’est vraiment bien fait, et la qualité de leur prestation suffit à donner envie de les revoir (au Grrrnd Zero le 30 septembre, en première partie de Monochrome. Tu diras que je te mache pas le boulot après ça). On sent encore une petite gêne sur scène par instants – peut être due à des débuts plus ou moins récents? – mais en tout cas voilà une jeune pousse qui mérite les encouragements et l’attention que le public du sonic lui a donné hier soir.
Quelques bières et une rencontre amicale attendue depuis quelques mois déjà (l’alcool et la musique aident décidément favorablement à la rencontre avec ses contemporains) plus loin, les quatre San Franciscains s’installent (aucune idée si c’est bien comme çà que l’on nomme les habitants de SF, mais toi non plus alors pourquoi tu demandes?). Bérêt toujours vissé sur la tête, Simonelli et les siens balancent d’emblée un morceau electrisant, comme si l’episode « soft show » deux heures plus tôt n’avaient fait monter en eux que l’excitation de tout faire péter une fois sur scène. Alternant une fois encore des morceaux du nouvel album (New Moon, Februaries, The Destruction Most Of All) et des deus précedents efforts (le très Shellac-ien Manly). La fougue de Pete impose toujours autant le respect, gesticulant, les bras dansant en rythme aux montées en puissance de Goldring et Thompson. Clamant, criant, hurlant (plus qu’à l’accoutumée), totalement habité par sa prose, le chanteur – ou parleur faut-il dire? – rappelle a l’ordre les prétendus pionniers qui se sont mis à nous parler de « slam » depuis quelques années. Comme dans un show d’Enablers, se succèdent arpèges claires, dissonances subtiles, avalanches de disto, en arythmie parfaitement contôlée. Les nouveaux morceaux sonnent plus bruts, plus urgents parfois; au lieu de s’assagir, de s’apaiser, le quatuor se fait plus sanguin, ramenant la tension de leur compos sur un fil toujours de plus en plus tendu, mais sachant faire baisser la pression de leurs portées avec toujours la même finesse. Après un show somme toute assez court, c’est la formation instrumentale d’Enablers qui prend le relais pour Touched by A Janitor. La même en fait, sans Pete Simonelli (qui remontera tout de même sur scène près avoir vendu quelques disque, ramener des bières à ses acolytes et pousser une dernière fois la chansonnette avec eux). Voilà, pour ce qui me concerne, la fin du meilleur show d’Enablers qu’il m’ait été donné de voir au Sonic.
On aura bien profité de cette soirée. Et tant mieux, car de l’aveu du groupe, leurs visites dans notre bonne vieille ville devraient se faire un peu plus rare l’année prochaine. Même si on devrait tout de même pouvoir les capter dans la région sans trop de mal lors de leur prochain passage…
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).