Composé à l’automne 1982, « Blue Monday » est dans les bacs de 7 mars 1983. Après Movement, premier album du groupe résilient se relevant de la fin précipitée de Joy Division, et une poignée de singles dont « Everything’s Gone Green », ce nouveau titre est un marqueur essentiel du virage que New Order est en train de prendre.
Absolument pas génération spontanée, on entend, dans ce qui sera un hit mondial, des arrangements qui trouvent leurs origines dans le disco italien de l’époque, ainsi que chez Donna Summer (« Our Love ») pour ce qui est du beat et du tempo. Le gimmick joué par la basse est inspiré d’un motif de guitare d’Ennio Morricone ( scène finale du duel dans Et Pour Quelques Dollars de Plus ) et par la séquence répétitive de « You Make Me Feel ( Mighty Reel) » de Sylvester. Les mancuniens mettent en avant sequencers et ordinateurs, jouent avec les intérêts qu’ils ont portés depuis Joy Division au krautrock né à Dusseldörf en 1972, comme aux prémices de la musique électro: un sample d’ « Uranium » de Kraftwerk est utilisé en début et fin de titre. Quant à la fameuse intro de grosse caisse électronique, elle doit aussi à un hasard émancipateur, puisqu’alors que les musiciens tentaient de programmer une boite à rythmes censée reproduire le beat de « Our Love », une série d’erreurs donnèrent le résultat que nous connaissons, ainsi que le confia Stephen Morris, batteur du groupe.
Que raconte la chanson? On se l’est demandé à sa sortie… New Order, Barney Sumner , en tant qu’auteur, sont aux antipodes – du moins formelles de Ian Curtis . Il n’ y a pas d’images obscures ni de métaphores dans les textes du groupe. En gros, « Blue Monday » qui vient de l’expression allemande « Blauer Montag » ( lorsque vous décidez ne pas aller au travail le lundi, car vous ne supportez plus d’être exploité!), évoque la rencontre amoureuse entre un homme et une femme et comment cela fonctionne selon une série de codes préétablis. Les démarches de l’un et de l’autre sont, dans ce cas précis, hésitantes et ambivalentes. La femme ne fait pas le premier pas, mais continue un jeu amoureux… L’homme lui répond qu’il se sent mal , mais ne sait comment faire, ce qui le conduit à s’éloigner avec un cœur qui « qui grandit froidement » … Les deux vont rompre, irréversiblement… On retrouvera un thème proche dans le maxi « Confusion » qui viendra quelques mois plus tard. « Blue Monday » est une chanson romantique … sans aucun romantisme…
Les auditeurs et fans ont-ils été attentifs à ce propos? Ont-ils repéré à l’aube du printemps 1983 l’écho des musiques qui nourrirent la composition? Rien n’est moins sûr. Si comme moi vous avez acheté le disque à sa sortie, votre première réaction a sans doute, surtout, été la surprise. Ce que nous connaissions se trouvait bousculé! Néanmoins, la chanson sortie en maxi 45tours va se vendre à plus d’un million d’exemplaires, un record au Royaume Uni. Elle annonce l’album Power, Corruption and Lies, seconde révolution musicale provoquée par New Order, après l’impact de Joy Division.
La pochette réalisée par Peter Saville pour Factory records, en forme de disquette informatique, est aussi belle qu’elle fût couteuse. Résultat, les royalties de ce succès se firent attendre. Les nombreux remixes du titre originel de 7 minutes ( il en existe une version de 14 minutes 30 ) , sa revisite par Quincy Jones en 1988 et son utilisation pour une publicité ont cependant corrigé les données un peu plus tard…
New Order joua « Blue Monday » sur scène pour la première fois le 25 novembre 1982 au Palais Theatre de Melbourne. Le titre terminait le set qui proposait la plupart des chansons de Power, Corruption and Lies. Le hit single reste parmi les chansons rock emblématiques qui ont changé l’histoire de la musique. Il y a un avant et un après « Blue Monday ».
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.