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Interview – Troy Von Balthazar

Ce 2 novembre, quelques semaines tout juste après la sortie honteusement confidentielle de son deuxième album How To Live On Nothing, Monsieur Troy Von Balthazar nous a fait l’honneur et le plaisir de revenir prêcher la bonne parole à l’Epicerie Moderne. L’occasion pour moi de rencontrer ce personnage énigmatique, leader d’un groupe noise rock emblématique olsônônaze Chokebore (qui comptait parmi ses plus grands fans un certain Kurt Cobain) et songwriter discret à fleur de peau, et de sonder un peu les profondeurs abyssales et les hautes sphères de ce nouveau disque à la séduisante dualité.

Hi Troy… D’abord merci de m’accorder un peu de temps, et mes excuses par avance si tu as déjà répondu des centaines de fois aux questions que je m’apprête à te poser…

Quelles sont mes influences musicales? (Rires partagés)

Non, pas si évidentes – Mais il y en aura probablement quelques unes sur Chokebore… C’est OK pour toi?

Oui, okay.

Commençons tout de suite alors… Revenons en 2003, quand vous avez décidé de faire une pause avec Chokebore. La génèse de ton projet solo a-t’elle coulé de cette décision, ou avais-tu cette idée à l’esprit depuis longtemps?

J’y pensais depuis quelques temps. J’avais commencé à entendre des chansons acoustiques dans ma tête, et je savais que je voulais me mettre à écrire de cette façon. Je pensais pouvoir mener les deux de front à ce moment là, Chokebore et mon projet acoustique… Les premières chansons à me venir comme çà, c’étaient des trucs comme « Where’s The Assassin », ce genre de musique. Ca ne collait pas trop avec ce que nous faisions avec Chokebore, parce que nous étions un groupe de rock! Un groupe de rock bizarre, ok, mais un groupe de rock. J’ai donc commencé à entendre ces chansons peut-être un an avant que Chokebore ne s’arrête. Je savais que je devais faire d’autres musiques, mais je n’ai pas pu faire les deux en même temps… C’était trop prenant.

[youtube]KKg8_OwScGQ[/youtube]

Est-ce que la mise entre parenthèse de Chokebore est en partie due à ce besoin?

Mmmm… (hésitation). Un peu, oui. J’avais besoin de donner vie à ces chansons, de les faire sortir. Et puis, nous avions fait cinq albums, nous avions fait beaucoup de concerts, je crois que ça nous a fait du bien à tous de faire une pause. On était constamment en tournée, on passait nos vies pour le groupe – ce qui est cool, mais, tu sais… Je ne voulais pas devenir fou, ou risquer de finir par péter un cable.

A cause du succès du groupe?

Oh non! Je n’ai jamais eu l’impression que nous ayons eu du succès. On bossait vraiment dur, on enchaînait les dates et les tournées. C’était juste du travail, et pas de succès. C’était cool de faire tous ces concerts, évidemment, mais on a vraiment tiré sur la corde et roulé jusqu’à ce qu’on en tombe d’épuisement. J’aurai sans doute du poser les choses de façon plus réfléchie à ce moment-là. Mais en tout cas, ça m’apparaît comme un bon choix aujourd’hui d’avoir provoqué cette coupure. Et maintenant, on recommence à jouer ensemble, ce qui est une bonne chose aussi!

Une fois lancé dans TVB, as tu considéré les choses différemment, ou t’es tu investi de la même façon, corps et âme?

Après la dernière tournée de Chokebore, j’ai enchaîné tout de suite avec la première tournée TVB, que j’ai bookée moi-même, depuis chez moi. Ce n’était pas aussi épuisant, parce que j’avais beaucoup plus de contrôle et de recul sur les choses. J’avais toujours voulu partir en tournée avec rien d’autre que ma guitare, un sac rempli de quelques pédales d’effet, prendre un train pour se rendre aux concerts… Pour moi c’était un peu une idée romantique, ça avait toujours été ce que je voulais faire de ma vie. Alors je l’ai fait, et c’était fantastique. Je me suis senti totalement libre! Tu sais, quand tu tournes en groupe, tu es toujours pressé, du genre « désolé, je dois partir dans cinq minutes », « Tu es prêt? », « Dépêchons-nous »… Tu vis en groupe et tu ne peux pas le quitter, sinon tout s’effondre. Etre seul m’a aidé à me sentir tellement libre. C’est quelque chose que j’avais presque oublié. Tourner seul, voyager en train… C’est vraiment ce qui me plaît.

Ta première tournée en tant que TVB était longue?

Non, peut-être une quinzaine de dates… Un peu plus… Quelque chose comme çà.

Seul?

Oui. J’ai fait beaucoup tourné de cette façon. Moi. Mon sac. Et des trains.

Une autre façon pour toi de voyager, d’aller à la rencontre des gens?

Oui! Tu sais, je ne me sens jamais seul en voyage, je ne suis pas le genre de personne qui s’isole très souvent. Alors le fait de voyager seul ne m’ennuie pas du tout, au contraire.

Tout çà c’est un peu le titre de ton album, How To Live On Nothing… (qu’on pourrait traduire comme « Comment vivre sans rien », ndla.)

Exactement. C’est ce qui décrit le mieux la façon dont j’ai vécu ces six dernières années. Je vis avec mon sac pour seule possession, je n’ai pas d’appartement. Quand j’ai arrêté Chokebore, j’ai rendu les clés de chez moi et j’ai commencé à voyager. Mon sac de fringues fait à peu près cette taille (il écarte les deux bras d’une cinquantaine de centimètres, ndla) et il contient à peu près tout ce que j’ai. Quand j’achète une chemise, je dois en jeter une autre pour que tout puisse y rentrer. Après chaque tournée, j’envoie un e-mail à tous les gens que je connais, et je demande « Hey, est ce que quelqu’un aurait une place ou je peux rester quelques temps? ». Le premier qui me répond oui,  où que ce soit dans le monde… c’est la direction dans laquelle je choisis d’aller. Du coup je me suis parfois retrouvé à Montréal pour quelques temps… A Paris, Marseille… Los Angeles, Hawaii… Berlin… Hambourg… C’est cool!

…Citoyen du monde alors?

Oui, je suis habitué à bouger beaucoup. Ce n’est pas toujours fun. Une fois je me suis retrouvé à habiter dans ma caisse, à Los Angeles. C’était assez glauque et effrayant.

[youtube]PdXdMo3L9lI[/youtube]

Il y a souvent dans tes chansons une espèce de mélancolie lumineuse; De par l’électronique, les sonorités, bruitages et accords que tu utilises… Les textes et les musiques jouent beaucoup sur le clair-obscur…
(à ce moment là, Troy m’interrompt et me demande si j’ai un stylo. Je farfouille au fond de mon sac, en sort un bic et lui tend. Il se met à griffonner des mots sur le dos d’un flyer qui traîne sur la table.)

Désolé, j’ai juste pensé à ces paroles pendant que tu disais çà…
Excuse-moi (Il continue d’écrire en me parlant, il est visiblement très embarrassé d’interrompre notre conversation)

Aucun souci! Prends ton temps.

(tout en écrivant) Excuse moi… Je travaille sur une chanson depuis quelques temps, et quand tu as dit çà, j’ai pensé aux paroles qui manquaient à mon texte, et je viens de les trouver. Désolé…
(Il déchire finalement le bout de papier sur lequel il vient d’écrire – en écorchant une des phrases – puis revient à notre discussion après s’être excusé poliment – une quatrième fois.)

Je ne sais pas si ma question a quoi que ce soit à voir avec tes paroles mais je vais attendre cette chanson avec impatience maintenant! (Rires)

Pas de problème (Il sourit mais semble encore presque gêné). Quelle était ta question?

Je parlais de cette dualité gaieté/tristesse dans tes chansons… Est-ce un reflet fidèle de ta personnalité?

Je dirai plutôt celui de mon expérience. Oui, cet album est assez autobiographique. J’ai eu des moments très difficiles les deux ou trois dernières années, j’ai passé énormément de temps à lutter intérieurement contre l’idée d’échec. J’avais un album prêt, et je n’ai pas trouvé le moyen de le sortir durant cinq années. J’ai d’abord pensé que c’était parce que j’écrivais de la musique médiocre, j’ai vraiment pris ce sentiment d’échec en pleine figure. J’ai voulu tout abandonner, et c’est ce que j’ai fait pendant quelques temps. Mais j’ai fini par revenir vers la guitare et recommencer à jouer. A peu près un an plus tard, je suis retourné à Berlin, vraiment déprimé, en des temps sombres et difficiles pour moi à me demander ce que je voulais faire entre aujourd’hui et le jour où je mourrai – ce qui au mieux pourrait représenter une trentaine d’années tout de même… J’étais fatigué de faire une musique que personne n’écoute et dont tout le monde se fout, trop épuisé pour continuer à me battre pour çà. Mais après une semaine passée sans jouer, je me suis rendu compte que j’avais juste envie d’écrire. J’aurai pu faire autre chose, retourner à la fac, penser à d’autres trucs. Mais la réponse à la question « qu’est-ce que tu veux faire de ta vie » serait toujours la même: prendre ma guitare, écrire des chansons. C’est ce que j’aime faire, et je dois continuer, même si ça implique de vivre et de mourir dans la pauvreté. Il y a beaucoup de moments sombres, comme dans la vie de chacun, mais il y a aussi des moments de lumière. Quand je suis sur scène, c’est une sensation extraordinaire. Rien que pour çà, ça vaut la peine de traverser tout le reste.

Peux tu me parler de cette chanson, « Happiness & Joy »? Elle semble tout à fait dans cet état d’esprit…

(Réflexion silencieuse)
J’étais à Montréal il y a deux ans… C’était si beau, je marchais seul dans la ville, sous la neige, je me sentais libre et heureux, tout allait pour le mieux. Et soudainement je me suis senti dans un état de déprime très profond, si profond que j’ai envisagé sérieusement de mettre fin à mes jours. En moins d’un moins, d’un bonheur complet, je suis devenu dépressif et suicidaire. Il faut réfléchir, prendre le temps de penser à tout çà pour en sortir, beaucoup, c’est ce que j’ai fait je crois… Maintenant ça va bien mieux. Mais la vie me semble de plus en plus n’être qu’une succession de hauts et de bas. Ce qui est intéressant… Peut-être les choses seraient-elles plus faciles si tout était plat?

Ce serait probablement bien ennuyeux.

Oui sans doute… Je ne peux pas dire que je m’ennuie (sourire). Enfin voilà, « Hapiness and Joy » c’est çà, une mélodie super joyeuse, et des paroles très sombres et dépressives. Une chanson sur le suicide. Il s’en est fallu de peu cette fois-ci… Mais je suis heureux et soulagé de ne pas l’avoir fait. Comme toujours… Je veux dire, tout le monde pense au suicide une ou deux fois dans sa vie. Pas plus, il faut espérer. Le truc c’est qu’on est toujours heureux de s’en sortir, d’y repenser un an après en buvant une bière et de se dire, « Wow, heureusement que je ne me suis pas tué l’année dernière! » (sourire). Et puis l’autre bon coté des choses c’est aussi que j’en ai tiré une chanson.

Revenons à des sujets plus joyeux alors… Chokebore s’est reformé pour une courte tournée l’année dernière. Comment la reformation s’est elle amorcée?

J’étais à Berlin, où les autres membres de Chokebore vivent maintenant, et je leur ai juste proposé de refaire quelques sessions acoustiques, pour voir si le feeling était toujours là. C’était le cas, alors nous sommes partis pour quelques shows…

C’était bien? Vous y avez tous pris du plaisir, ou c’était davantage pour celui des « fans de la première heure »?

Oh, c’était vraiment bon pour nous! On va continuer, si tout va bien l’année prochaine on refera une tournée avec plus de dates.

Ah! Bonne nouvelle. Et je connais une salle à Feyzin qui serait très heureuse de vous accueillir à nouveau avec Chokebore.

Ah oui? C’est une très belle salle en effet.

Je serais curieux de savoir comment tu écris tes chansons. Comment conçois tu le travail d’écriture? Est-ce que tes morceaux évoluent, cela te prend-il beaucoup de temps?

Cela dépend beaucoup des chansons… Chacune est unique. Parfois elles évoluent, elles changent avec le temps, parfois elles restent comme elles sont dès le début. Certaines viennent toutes seules, naturellement, sans qu’on force les choses, et tout fonctionne! D’autres demandent davantage d’attention et de travail. Parfois, tu ne sais pas, parce que tu n’entends pas encore la chanson dans ta tête… Cela m’arrive d’avoir quatre ou cinq chansons en cours d’écriture, pas finies. Sans savoir de quoi elles auront l’air lorsqu’elles seront terminées.

Une dernière question et je te laisse aller manger… Qui t’accompagne ce soir?

Nous serons trois, il y a Christian, le batteur de Chokebore, et Adeline (Fargier, ndla, au moins quatre d’entre vous savent bien de qui il s’agit) qui joue de la guitare et qui chante aussi sur les deux albums. Elle est Française, elle vient de Valence! C’est près d’ici je crois, c’est sa région… Mais maintenant elle vit à Los Angeles. De bonnes personnes, des musiciens solides. Je suis heureux de jouer avec eux.

[youtube]NU5DQs192cw[/youtube]

Remerciements à l’équipe de l’Epicerie Moderne & Troy Von Balthazar pour sa disponibilité.
Album « How To Live On Nothing » disponible (Third Side Records).

6 comments
  1. Lionel

    Merci beaucoup pour le feedback, et pour tes liens… Superbes tes vidéos.
    (je peux te demander avec quel matériel tu captes?)

  2. [DARK GLOBE]

    […] nous l'avait annoncé depuis quelques temps mais ce genre de confirmation là est toujours de bonne augure: Chokebore […]

  3. [DARK GLOBE]

    […] oublier la venue de Troy Von Balthazar à l'Epicerie (avec qui on avait alors bien pris la peine de placer l'affaire, tu te rappelles), l'espoir nous était enfin donné. Et c'est finalement ce mercredi 26 octobre […]

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