La ville de Macclesfield, Cheshire, où vécut et décéda Ian Curtis, le 18 mai 1980 à l’âge de vingt-trois ans, vient d’instaurer un jour annuel dédié à la mémoire de l’artiste et icône new wave. Faut il dire « enfin », « bravo! Cela manquait tellement » ou ne voir qu’une promenade pour fans venus en groupe tout exprès ? Quoi qu’il en soit, la première édition de ce D-day se tiendra le 7 septembre prochain. Elle correspond à une demande, motivée par une émotion toujours vive pour l’artiste défunt. Concrètement la journée sera animée par deux visites de groupe sous la conduite de Trevor Stokes, fan et habitant de Macclesfield qui, dans son enfance, fût voisin du couple Deborah et Ian Curtis. Les visites proposeront douze haltes symboliques dans divers lieux, agrémentées d’un concert de Transmission ( cover band de JD) dans l’unique salle de cinéma locale récemment réouverte. Notons que Joy Division ne jouèrent jamais à Macclesfield et n’y répétèrent qu’occasionnellement à leurs débuts. Chaque circuit commenté se terminera par un temps sur la minuscule sépulture de Curtis, deux pierres gravées du titre « Love Will Tear Us Apart », sous lesquelles reposent ses cendres. Ceci après un passage incontournable au 77 Barton Street, quelques rues plus loin, adresse où il vécut en couple avant de s’ôter la vie à la veille d’une tournée aux Etats Unis.
Cet événement annuel vient après qu’une peinture murale (œuvre de Aske, artiste de Street Art mancunien) a été réalisée en 2022 sur une façade de la principale rue commerçante de la ville de cinquante mille habitants. Soit le plus remarquable hommage récent, fait en mémoire du chanteur natif de Macclesfield. Peter Hook souhaitait il y a dix ans une statue en l’honneur de son ancien band mate trop tôt disparu, puis le 77 Barton Street faillit devenir un lieu public, sorte de musée ( il n’en est rien, heureusement !) lorsque la maison mitoyenne fût vendue et achetée en 2015 par Hadar Goldman, un super fan fortuné. Rien n’aboutit et le Cuba Bar de Hooky, dans le quartier de la gare, ferma rapidement sans ressusciter l’Hacienda de Factory… Les fans en pèlerinage ont ainsi longtemps trouvé leur chemin par leurs propres moyens et Curtis, loin de tout cela, repose en paix depuis plus de quarante ans.
La mesure du temps écoulé, tout comme celle de l’isolement relatif de la ville sont à considérer dans l’appréciation de cette nouvelle d’un Ian Curtis D day. A quarante kilomètres au sud de Manchester, Macclesfield vécut de l’industrie de la soie dont elle conserve quelques vestiges industriels, intégrés au paysage sans le moindre heurt. Au fil du temps, l’endroit est resté campagnard loin de toute agitation, avec ses rues de pavés gris grimpant et descendant une colline, centre historique de cette cité tranquille du Nord Ouest anglais. Dark Globe s’y est rendu voici dix ans (cf notre article). Force fût de constater que si le chanteur au dramatique destin était devenu – bien involontairement- « le discret attrait touristique » de lieux désuets et pittoresques à l’écart de tout circuit d’un tourisme habituel, sa mémoire n’y était pas spécifiquement valorisée. Il fallait imaginer, activer par soi même ce que vous saviez, tout en cherchant les traces à peine tangibles de ce qui s’apparentait à une quête d’impossible proximité. Nos impressions furent ainsi étranges, empreintes de mélancolie et de perplexité, ressentis finalement cohérents avec l’histoire ancienne, croisant musique rock et destin personnel, qui avait motivé cet insolite voyage. Si on se rendait compte que la pierre tombale du chanteur de Joy Division, perdue en bord d’allée, était visitée – en témoignaient fleurs et autres objets déposés- , les visiteurs étaient invisibles voire fantomatiques. On ne se croisait pas à la recherche d’un temps perdu…
Les fans, aujourd’hui, trouveront sans doute leur compte dans ce jour mémoriel de fin d’été. Bien qu’une visite sur les pas de Ian Curtis soit, avant tout, une démarche éminemment personnelle, il y a « ce que je suis » et « ce que nous sommes« . La dimension collective entre en jeu dans le cas précis d’un pèlerinage de fans. En ce sens, le 7 septembre offre la possibilité de se regrouper, de se rencontrer, presque de communier dans un bien innocent culte païen. Curtis le vaut bien, figé en éternel jeune homme inquiet, à jamais héros romantique à défaut d’avoir pu vivre en échappant à ses propres ténèbres. On ne sait qu’elle lumière montrera son souvenir ravivé ? On ne saura jamais qu’elle lumière lui manqua à ce point…
« I ‘ve been waiting for a guide to come and take me by the hand » ( « Disorder », Ian Curtis/Joy Division).
Photos: Oliver Mood/Dean Davies (Macclesfield) Philippe Carly (IC portrait)
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.