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Disques

Bill Ryder-Jones / Lechyd Da

La ligne claire de l’intranquillité,

Soudain au détour d’une ruelle s’échappe une beauté splendide lorsque le promeneur fait rêveusement irruption par un mélange de hasard, de mystère et de stratégie touristique sur une grand place bouleversante, c’est l’effet baroque, c’est la fusion de la densité et de la concision.

Voilà d’un mot la philosophie de l’objet musical livré par l’ancien guitariste de The Coral, disque d’artisanat et de joaillerie, œuvre d’ombres et de vulnérabilité : voici  Lechyd Da . Un titre tintant (avec un niveau médiant en gallois) à l’attention de l’auditoire : « Santé ! » nous lance-t-il. De quelle santé s’agit-il ? la nôtre ? la sienne ? A l’écoute, cette santé, c’est le choix qui s’imprime dans nos vies par nous-mêmes. Cette santé, c’est l’intranquille quotidien allant de l’action à l’inaction, en ce sens ce disque affiche une beauté toute en désillusion qui jette sur les berges de la Mersey l’ombre lisboète de Fernando Pessoa, poète désenchanté du rien vouloir. Pour quelles raisons ? Tout d’abord car il y a chez Ryder-Jones ce désir de ne pas choisir entre aspiration aux grands espaces cinémascopes et respiration minimaliste de l’intimité et du murmure. « Renoncer, c’est nous libérer » dit Pessoa ajoutant « Ne rien vouloir, c’est pouvoir » la partition de l’artiste se joue ici dans l’entre-deux, dans l’embrasure. L’écart entre les morceaux amples au-dessus des flots « This cant go on » ou « …and the sea.. » et le minimal murmure de « We dont need them », mélodie bouleversante rejointe sur ce territoire du no man’s land par l’intimiste « A bad wind blows » ou « How beautiful i am », comptine piano, cet écart donc est l’empire même de l’œuvre. Cet exercice protéiforme est la deuxième raison qui attache Ryder-Jones à Pessoa qui avait, lacanien s’ignorant, affirmé : « Nombreux sont ceux qui vivent en nous », et ici il réside d’autres habitants nichés dans les creux de l’intime et la grande houle des flots lyriques, Le « Love Strory » de Lloyd Cole, le Pete Doherty félin (oui, il l’était) de « Grace / Wastelands », l’ombre des Thrills et le « Deserter’s song » de Mercury Rev…et même le « Teardrops » de Massive Attack dans l’ouverture entêtante du titre « Nothing to be done ». Ce nimbe collectif est royal, cette famille rêvée dans les jardins de Ryder-Jones déambule dans les crépuscules tendus entre la voix qui râpe, celle de papier de verre, celle qui murmure, celle de la chute et celle de la transcendance.

Immobile dans la tourmente, tourmenté dans l’immobile, ce disque de prodiges nous scrute d’un regard sévère et doux.

A le réécouter auditeur tu ne douteras plus : il y a derrière la pluie un arrière monde, plus beau, over the Rainbow.

« Ce que tu fais, fais-le suprêmement » nous assène Pessoa, Bill en a fait son miel à votre santé.

Album sorti le 12 janvier 2024 chez Domino records
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