Organisée, pour ses dates françaises, par le label bordelais Talitres (diffuseur des derniers albums de la discographie de Swell ), la tournée européenne du groupe californien à l’initiative de Peter Verstraelen ( tourneur pour le Benelux), se veut un hommage à David Freel décédé il y a exactement un an. En tant que fan et spectateur on oscille de fait entre nostalgie d’un artiste disparu, de son répertoire singulier, et un attrait pour l’authenticité de vétérans du rock indé, réunis depuis le début du mois sur les scènes d’Allemagne, Hollande, Belgique , Suisse et France – avec six dates dans l’hexagone. Swell 2023, ce sont les musiciens qui participèrent autour de David Freel aux premiers albums de la formation créée en 1989 à San Francisco, avant d’émigrer à Los Angeles au début des années 1990. Ainsi retrouve t-on Sean Kirkpatrick derrière ses fûts de batterie, premier à avoir rejoint Freel en 1989, accompagné de Monte Vallier à la basse et les guitaristes Niko Wenner et John Dettman-Lytle. Durant le concert l’ombre et le souvenir du leader défunt ne sont jamais loin, ravivés par des anecdotes du passé racontées entre les titres d’une longue set list, ouverte par « Love You All » avant de se clore avec l’ambiance si particulière de « Sunshine Everyday » qui donne son nom à la tournée. Dans la salle parisienne l’émotion est palpable, partagée entre la scène et des fidèles rassemblés en petit nombre, la quantité réduite de spectateurs n’étant synonyme de rien d’autre que du fait qu’il y a le mainstream et que – quoique vous fassiez dans votre vie- il y a le reste…Swell, à qui l’on doit pourtant l’invention de notre genre musical indé favori, fait partie du reste.
Groupe à part d’une décennie dominée par un grunge parfois très râpeux, Swell fût avant tout conduit par une personnalité atypique. La relation de cause à effet explique probablement cela… Freel enthousiasma la critique, notamment française – Libération, Les Inrocks– mais restera néanmoins un artiste en retrait de son époque, tout comme le fût la musique du groupe elle-même. Avec Swell nous sommes très éloignés de Kurt Cobain, Nirvana ou Pearl Jam, mastodontes des nineties. Le 18 avril 2022, quelques jours après le décès de Freel – pour des raisons non rendues publiques -dans une indifférence quasi générale, Libération lui rendit un hommage sous la plume de Lelo Jimmy Batista écrivant ces lignes pleines de justesse : « David Freel faisait figure d’anomalie avec son débit grave et inexpressif, parlé-chanté, plus proche d’un Lou Reed comateux ou d’un Thurston Moore levé du pied gauche que de Kurt Cobain ou Eddie Vedder« … On ne saurait, en effet, mieux décrire un artiste qui choisit de chroniquer la mélancolie des zones pavillonnaires et d’une classe moyenne pas forcément sexy, plutôt que d’hurler pour la énième fois l’âme d’un rock and roll caricatural. Question de point de vue qui, évidemment, n’engage que moi… Homme secret, peu affable avec la presse, Freel était un taiseux. A l’époque j’avais perçu le song writer que je rapprochais de Smog, comme un très grand anxieux tentant de conjurer par l’art une anxiété et un malaise existentiel intenses. Je ne pense pas m’être beaucoup trompé. Ce genre de choses se ressent si vous prêtez attention à ceux dont vous êtes curieux des créations. John Dettman-Lytle va dans ce même sens quand il évoque son ancien comparse, et déclare qu’ironiquement l’homme qui n’aimait guère être exposé, se retrouva, par la voie de Swell, au centre de tous les regards. Ce qui n’arrangeait sans doute rien pour lui. Du moins dans un premier temps, puisque Freel ne céda pas.
Le 18 avril, sur la scène du Petit Bain, les ex Swell réussissent à recréer ce mélange de néo-folk, de post-punk et d’ambiances psychédéliques qui caractérisa leur son de 1989 jusqu’en 2007 – année de sortie du dernier album South of The Rain and Snow. Quinze titres sont joués, sélectionnés dans les premières années d’un répertoire rentré depuis au petit panthéon de la musique pop-rock. Au travers de la voix et de la guitare acoustique de Dettman-Lytle, on entend l’écho de Freel secoué par les saillies électriques de la Gibson Lespaul de Niko Wenner. Après « Love You All » au tout début du concert, on reconnaît « At Long Least », titre de 1991, puis le presque pop « Forget About Jesus » (1994), introduit par son riff de quatre accords de guitare folk immédiatement reconnaissable. Un autre temps fort du concert parisien sera » What I Always Wanted », extrait de l’album Too Many Days Without Thinking (1997), dont le texte narre une étrange journée de pêche et ses prises mystérieuses tirées d’un lac aux eaux aussi indistinctes qu’un insondable inconscient. « Je ne peins jamais l’eau, il y a plusieurs choses à la fois » répond Vincent Van Gogh à la question du docteur Gachet dans le Van Gogh de Maurice Pialat…Swell firent ils de l‘art et essai à leur façon? Certainement. Trois titres sont donnés en rappel. « Get High », « It’s Okay » (1989) et « Bridgette, You Love Me », chanson épurée, jouée par la guitare acoustique seule, avant que n’intervienne une basse discrète, le chant de Dettman-Lytle souligné par les chœurs sans ostentation de Wenner et Kirkpatrick. La boucle est bouclée. Elle constitue probablement la toute dernière occasion d’entendre Swell en live. C’est ainsi. Une discographie reste. Pas complètement perdue? Ecoutez The Lost Album ( 2007, Talitres).
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.
abds69
toujours aussi sympa ce petit groupe