Il y a quelques semaines je parlais ici de Graham Coxon, pour chroniquer la publication par le guitariste de Blur d’un ambitieux album, réalisé sous le nom de The Waeve, en duo avec Rose Elinor sa compagne. Si quelqu’un m’avait dit au même moment que Dave Rowntree, discret batteur de l’influent groupe britannique, allait sortir, de son côté, un premier opus en solo, je lui aurais demandé la source de cette étonnante nouvelle? Parce qu’en effet nul ne s’attendait à ce Radio Songs, que nous découvrons en ce début du mois de mars. Si Rowntree est un musicien efficace et reconnu, nous en gardons surtout l’image d’une personnalité effacée derrière les démonstratifs Albarn et Coxon. Qui aurait parié que viendrait l’envie de cette mise en avant, après plus de trente ans de carrière au service de sa majesté Damon Albarn? Certainement pas moi, mais il ne faut donc jurer de rien.
Fils d’un ingénieur du son de la BBC, Rowntree a profité du second confinement – confie t-il au magazine Gonzaï- pour se consacrer à l’une de ses passions, héritée de son père, technicien de la plus célèbre station radio londonienne. Le goût de capturer les sons et de les restituer a toujours été présent chez le batteur, par ailleurs expert en claviers et synthétiseurs. Pendant l’arrêt imposé par la crise sanitaire, cet intérêt est devenu un désir qui a pris le pas sur l’art de frapper et jouer des séquences rythmiques. Le batteur s’est transformé en auteur-compositeur, puis a poussé plus loin sa métamorphose en se faisant chanteur. L’expérience, qui a eu des précédents plus ou moins captivants (Ringo Starr, Phil Collins, Robert Wyatt, Peter Criss de Kiss, Dave Grohl…), n’est pas à proprement parler banale. Néanmoins si le changement excite la curiosité, qu’en est-il de son résultat?
Radio Songs est un ensemble de dix titres, retenus parmi une vingtaine écrits il y a deux ans. Musicalement on se retrouve assez loin de Blur, dans une ambient qui tient à la fois du travail fondateur de Robert Wyatt (Soft Machine), de la musique électronique (Eno, Air) et inclut une quantité mesurée d’inspiration venue du rap. Tout le disque est joué mid-tempo, à l’exception des plus enlevés « London Bridge », premier single extrait de l’album, et « Tape Measure », titre sur lequel une voix féminine rend la chanson diablement entêtante. L’ambiance générale est planante et l’humeur alterne intimisme et posture contemplative. En ce qui concerne le chant de Rowntree (grande découverte du disque), force est de constater qu’il s’en sort plus qu’honorablement, lui qui jugeait sa voix sans intérêt. Son style vocal, qui ne copie personne, reste dans un registre dégagé d’ostentation ou d’emportement, mais est suffisamment chargé d’intention pour qu’on s’y intéresse. Le phrasé du chanteur quinquagénaire est porté par des lignes mélodiques d’une douceur certaine et d’une élégance délicate. Rowntree sait placer sa voix, le pari est réussi. Le propos des textes est, quant à lui, de l’ordre de l’intime, développant un fil conducteur marqué par une introspection légère sans trauma. On se laisse prendre agréablement et presque surprendre, dirais je.
Dans les compositions de Rowntree qui peuvent évoquer certaines ambiances des bandes-son déjà composées par le batteur pour Netflix, il y a de l’émotion comme dans « 1000 Miles » – comportant quelques échos d’Albarn en solo -, ou dans « Black Sheep ». Avec son superbe piano cette dernière chanson qui parle de l’enfance et des années de formation de Rowntree, est teintée d’une belle couleur mélancolique, accentuée par l’intervention d’un violoncelle et des crescendos de cordes citant « A day in the Life » de qui nous savons. Dans cet inattendu et surprenant travail, il y a aussi, clairement, de l’ambition. Ainsi « Devil’s Island », appuyé sur une intrigante et minimaliste séquence de percussions électroniques, est suffisamment sophistiqué pour retenir la curiosité de l’auditeur exigeant. Avec ses voix mystérieuses en over dub et des arpèges de cordes qu’on imagine joués par quelque harpe ou guitare archaïque, le titre est une réussite stylée et singulière. C’est, par ailleurs, une des chansons où le chanteur s’impose le plus, osant un refrain convainquant et bien amené. Rowntree n’a pas travaillé seul et on note la production de Léo Abraham, producteur de Eno, qui valorise chaque composition d’un enrobage sonore protecteur et sans heurt, qui sied idéalement à l’ensemble. In fine, le discret Rowntree convainc, par le dépassement de ce qui n’aurait pu relever que de l’ anecdotique mais ne l’est absolument pas. Il n’y a ni grandiloquence ni pathos dans ce Radio Songs, mais une présence et une écriture cohérentes, tenues du début à la fin du disque.
Parmi toutes les chansons qui passent à la radio, beaucoup s’oublient certaines demeurent. Celles de Dave Rowntree sont un peu plus que la surprise du jour – si ce n’est pas encore celle du chef – et c’est déjà beaucoup. A écouter, peut-être, en oubliant Blur…
crédit photo: Paul Postle.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.
cyril therond
Salut Jean Noël !
C est après notre discussion de dimanche soir en terre lyonnaise pour le concert de mon héros que je me suis précipité sur l achat de l album de Dave Rowntree et force est de constater que tes conseils sont toujours précieux et avisés. J adore cet album et il ne me suite plus. C est globalement assez loin de Blur mais pas tant finalement sur certains morceaux. Et je trouve ce disque à l image du bonhomme discret mais bien présent… merci pour le conseil et au plaisir de se retrouver pour deviser sur les brittonneries que nous affectionnons. Amitiés. Cyril