A dire vrai, je ne connaissais pas MJ Lenderman il y a peu. Et c’est à peine si j’avais entendu parler de Wednesday, groupe alternatif et indie basé en Caroline du Nord, dans lequel il officie en tant que guitariste. Je viens de rattraper cette lacune après que me soit tombé dessus « Hang over game », extrait d’un premier album solo sorti en Mai. Le titre qui m’a immédiatement accroché m’a irrépressiblement rappelé tout l’intérêt que j’ai pu porter à Mark Linkous, lui aussi originaire de ce centre nord américain qu’on pourrait qualifier de profond. Chez les deux artistes, nous sommes bien loin des hypes fluctuantes des mégapoles américaines, ou de la pop sunshine et néo psychédélique très en vogue parmi les groupes récents venus des côtes californiennes. Cette origine géographique commune prend par ailleurs tout son sens à l’écoute des thématiques développées par Lenderman, proches de celles du regretté leader de Sparklehorse. On y sent la prégnance d’une certaine ruralité, d’un quotidien qui peut devenir ennuyeux par sa banalité, ainsi qu’un regard désillusionné et sarcastique sur le manque d’idéaux de la société nord américaine d’aujourd’hui. L’écriture de MJ Lenderman présente cette froide et mélancolique lucidité qu’on aimait chez Sparklehorse, entendue encore chez Built to Spill. Quand il n’est pas en tournée, le jeune homme aime la pêche en rivière, joue au basket ball en amateur et regarde moqueusement la télévision et ses dérisoires vedettes. A ce stade, la filiation avec toute une école de songwriting, Linkous en tête, ne laisse plus de doute et je ne m’en plaindrai pas.
Boat songs, diffusé par le label Dear Life Records, est le véritable premier album studio de Lenderman, enregistré il y a un an, alors que son prédécesseur Ghost of your guitar solo (2021) fût le résultat de jam sessions captées live sur un matériel maison, ainsi que le précise l’auteur compositeur dans une interview donnée au magazine Pitchfork. Après l’écoute des 10 titres de Boat songs ,la musique qui en ressort paraît une alternance et un mélange réussis entre celles de Neil Young et The Band par ses aspects country et folk rock et celles de Sparklehorse et Pavement pour l’influence des nineties. Les guitares Fender sont rugueuses, jouant avec fuzz et distorsion, sur des séquences mid tempo aux mélodies mélancoliques qui montent en intensité. « SUV » (très énervé), » Tastes Just Like It Costs », « Toontown » en sont des exemples. Quand le country folk prend la main dans l’écriture des pop songs alternatives de Lenderman, les compositions restent néanmoins ancrées dans des territoires musicaux obscurs, loin d’une americana idéalisée, les terres musicales explorées pouvant alors évoquer les humeurs tortueuses du texan Josh T. Pearson ex-Lift to Experience (mythique, rare et sublime): « TLC Cagematch » (avec ses slide guitar), « Under Control » (aux motifs de guitare qu’on pourrait croire joués par Robbie Robertson ressuscitant The Band). « You Have Bought Yourself A Boat » est avec « Hang Over Game », un des titres qui se dégage le plus d’un ensemble déjà de haut vol. J’y ajouterai volontiers « You Are Every Girl To Me », entrainant dès son couplet et probablement la composition qui m’évoque le plus Mark Linkous. La voix de MJ Lenderman est pénétrante, légèrement modifiée avec intention via quelque effet de micro. On la suit et elle nous guide avec des mots qui ne disent que la vérité, ont oublié bluettes et romances et ne racontent in fine que le réel, précisant s’il le faut que les choses ont le goût exact de ce qu’elles nous coûtent …
Faussement dilettante, Lenderman signe avec Boat Songs un premier album dans lequel il n’y a rien à jeter. Pertinemment il semble pourtant ne pas ignorer qu’il n’a pas plus d’importance que quiconque sortant un nouvelle œuvre sur l’immense marché actuel, mais tente de s’en arranger ainsi que du fait que chacun est tôt ou tard oublié. Indispensable, donc, pour le moment.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.