Désormais autoproclamé (avec raison!) probablement le groupe le plus mignon d’Oslo, Flunk, est de retour avec un nouvel album intitulé History of Everything Ever. On aimerait certainement pouvoir expliquer que la pandémie a précipité ou même bouleversé les plans du quatuor quant à la réalisation de ce nouvel opus mais, comme ils nous l’ont expliqué dans leur interview, celui-ci a bel et bien été composé de la plus naturelle et traditionnelle des façons: chacun dans son coin, les orteils bien au chaud dans des charentaises norvégiennes. En fait, force est de constater que pas grand chose ne semble être en mesure de bouleverser la tranquille marche créatrice des membres du groupe.
L’album précédent de Flunk, Chemistry And Math, avec son climat opaque et intime, se caractérisait par son homogénéité et une cohérence stylistique forte. History of Everything Ever a, quant à lui, des airs de rétrospective non officielle du groupe; impression d’abord renforcée par le titre de l’album. Ainsi, de manière consciente ou non, tout au long du disque, Flunk semble multiplier les clins d’oeil à ses (désormais) plus de vingt ans d’histoire musicale. Graphiquement, la pochette de l’album renvoie ainsi directement à la balançoire du single Sanctuary sorti en 2013. Ce sont aussi de nombreux tropes de Flunk qui se dévoilent tout au long de History of Everything Ever. On y retrouve ainsi cette appétence à la reprise anémiée jusqu’à la moelle des classiques de la pop music (ici le « Ashes to Ashes » de David Bowie); élément traditionnel mais pourtant absent des deux précédents albums. Mais, si cette fois-ci la recette sent quand même sacrément le réchauffé et nous laisse carrément de marbre, l’inflexion du groupe pour la mutabilité passe à la vitesse supérieure pour se faire bien plus séduisante sur « What Is Love ». Reprenant les paroles du titre homonyme des années quatre-vingt d’Howard Jones en les couchant sur la musique de Syrupsniph », (venu tout droit de leur premier album, For Sleepyheads Only) « What Is Love », poussé avec flegme par la voix éraillée d’Ulf Nygaard et des guitares orientales, nous agite le cortex de son souffle froid. « Pullover », avec ses murmures sur une electronica froide et distante, renoue avec l’étrangeté subtile des premiers morceaux du groupe tandis que « Fingertips », chanson débutée à l’époque de Lost Causes, a la légèreté indie pop d’un « Cigarette Burns » sorti voici déjà dix ans.
Évidemment, nous pourrions nous agacer de voir Flunk s’acharner à cultiver son petit pré carré en évitant de s’aventurer au-delà mais étrangement, il n’en est rien. Il y a toujours chez eux ce naturel qui séduit sans forcer, cette faculté à dépeindre avec dénuement un instant faussement trivial (« Midsummer »), cette aisance à composer des morceaux de folktronica directement accrocheurs vibrant à l’unisson d’un spleen nordique doux amer, souvent plongés dans une contemplation hébétée (« I Get you ») ou dans une douceur tiède et étrangement moelleuse (« Cute Fluffly Things »). Dans la lignée de cette douce déviance, « Fate » charme aussi avec son electronica un brin désuète, son équilibre boiteux entre rythmiques électroniques et douces poussées de violons. Des cordes retrouvées dans la très belle intro d’un saisissant « In the Dark » et, de tous les titres du nouvel album, c’est sans doute celui-ci, avec son magnétisme fascinant comme un astre noir, sa dramaturgie trouble et toute en retenue comme la voix d’Anja Oyen Vister à demie noyée dans le mix, qui nous enivre le plus de plaisir. Quant à « Down Here, Moon Above », comptine mélancolique, tout a la fois aérienne et sombre, à la délicieuse électropop en suspension, c’est peut-être le meilleur single du groupe; en tous cas, le plus catchy depuis l’immense « Queen of the Underground ».
Pour les fans de Flunk, History of Everything Ever aura certainement quelque chose du territoire familier. Mais ce qui continue à rendre les compositions du groupe excitantes, ce sont les reflets mats et monochromes de ce paysage en permanence duveteux et brumeux. Il y a chez ces norvégiens une faculté à creuser leur sillon musical avec méthodologie et sans heurt, à retranscrire avec finesse les fléchissements et les palpitations imperceptibles de l’abandon de l’âme, avec juste une palette de nuances de gris.
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.