Auteur prolixe, musicien et performeur, peintre à ses heures, Serge Scotto est un touche-à-tout hyperactif. Le quinquagénaire haut en couleurs garde rarement sa langue dans sa poche, et il n’est pas rare qu’on le retrouve ici ou là en trublion de l’ordre établi. Ainsi, au début des années 2000, Marseille, sa ville natale, l’a-t-elle connu pour avoir présenté aux municipales le «célèbre chien Saucisse», son petit teckel (par ailleurs figure littéraire aux éditions Jigal), qui recueillit quatre pour cent des suffrages… Une performance! Ingrid de la Jungle fût sa première publication comme auteur BD. Il a depuis publié chez Bamboo et Fluide Glacial comme scénariste. En tant qu’auteur, dessinateur et scénariste Renar et Blerô (Mosquito) est son premier album en solo.
Quelle fût ta première bd en tant que lecteur?
Serge Scotto: Pif Gadget, je pense… Mes parents étaient communistes. Cela dit, je crois qu’on n’a jamais fait mieux, et quelle pépinière: Hugo Pratt, Mandryka, Chéret, Gotlib, etc.!
Et celle en tant qu’auteur et dessinateur?
Comme beaucoup de futurs auteurs de BD, enfant je bricolais mes propres magasines dans des cahiers: au feutre, au bic et aux crayons de couleurs, avec des personnages et des aventures que j’imaginais au fur et à mesure… J’ai sans doute dû forcer mes parents à y jeter un œil mais je ne crois pas que ces apprenties BD aient jamais eu d’autres lecteurs; j’en ai retrouvé quelques exemplaires il y a peu en déménageant, presque aussi vieux et usés que moi. Sinon, ma première publication, c’est comme dessinateur de presse non rémunéré, en 1984. Durant quelque temps, j’ai eu droit à un dessin d’humour facile le mercredi dans Centre Presse, le quotidien départemental de l’Aveyron. J’attendais impatiemment que le dessinateur en titre veuille bien décéder pour prendre sa place à la une mais ce n’est jamais arrivé: c’était l’indéboulonnable Jean Ferrieu. Il était né avec le siècle et dessinait encore des bidasses avec de la paille dans les sabots ou des locataires qui remontaient leur seau de charbon dans l’escalier… Un jour, un jeune branleur dans mon genre attendra que je crève pour prendre ma place, c’est certain.
Tu retrouves la BD, après plus d’une décennie en tant que romancier, avec les adaptations de Pagnol dont tu as été l’initiative. Pourquoi ce long délai et pourquoi ce choix de Pagnol?
Deux décennies, en tant que romancier, pour être exact. Et je pousse d’ailleurs le vice jusqu’à m’y remettre, ces temps-ci… Quant à Pagnol… Je suis un petit Marseillais, c’est un peu Pagnol qui m’a choisi… Le fait est que Pagnol manquait à la BD. Il a une écriture très visuelle – rappelons que c’est aussi un homme de cinéma – et un sens inégalé du dialogue – rappelons que c’est un homme de théâtre… Ces dispositions le prédisposaient particulièrement à la BD, que l’on s’est contenté de mettre à son service avec humilité. Cela dit il aimait beaucoup la BD. On trouve pas mal de références à la BD et quelques emprunts plus ou moins discrets dans son œuvre. Mais cela dit, Pagnol ce n’est pas moi. Je suis auteur moi-même, mes talents fussent-ils plus modestes et j’ai envie et besoin de m’exprimer de façon plus personnelle. Moi, mon truc, c’est plutôt le satirique décapant. Faut en profiter, parce qu’avec l’avènement de l’esprit woke comme culture dominante, on ne pourra bientôt plus rire de rien. Alors je me dépêche d’en profiter, surtout que j’avais effectivement pris du retard!… Pour nous qui avons eu 20 ans dans les années 80, c’est tragique de voir cette sinistrose liberticide qui s’empare de la jeunesse. Mais pour ceux qui ont 20 ans aujourd’hui, ça leur paraît normal, vu qu’ils n’ont connu que ça et ont biberonné au politiquement correct .
Un mot sur Les Cagoles, feuilleton paru chez Fluide Glacial?
Les Cagoles, j’ai adoré faire ça, hélas ça n’a pas duré très longtemps! Pour le coup, c’était tout moi, vraiment tout ce que j’aime faire. Et c’est vrai que d’aucuns y auraient vu de la provocation, mais on s’en never mind les bollocks! Beaucoup trouvaient ça drôle, en tout cas certains. Et j’ai même reçu un mot très touchant d’un vieux monsieur en EHPAD qui me remerciait de le faire bien rigoler… Même cinq minutes par jour, tant qu’on a bien rigolé, c’est qu’on n’est pas mort!… J’étais au scénario et le grand Bernard Khattou au dessin. Et c’est Yan Lindingre, le rédac’ chef, qui nous avait recrutés. On avait eu l’idée de la série ensemble, un soir en dînant à Bruxelles, dans un festival. Quand il a été viré par le nouvel actionnaire majoritaire, on s’en est rendu compte quelques mois plus tard. Personne n’avait songé à nous prévenir que nous avions été virés avec lui. J’aurais à minima aimé qu’on nous maintienne encore quelques épisodes pour boucler au moins un album mais non…C’est dommage.
Renar et Blerô, c’est venu comment ?
Suite logique de ma déception, l’envie encore plus forte de revenir à moi-même! J’ai préféré quitter la collection Pagnol, que Nicolas Pagnol et moi avions initiée. Mais elle reste entre de bonnes mains: celles de mon ineffable partenaire Eric Stoffel, avec qui je partage tout sauf le sexe depuis une vingtaine d’années, et qui nous avait rejoint à peine la portions-nous sur les fonds baptismaux: il s’en démerdera très bien! Et comme ça, il gagnera le double! Du coup qu’il se retrouve tout seul, d’un autre côté il travaillera deux fois plus! Tout ça est très équitable !… De mon côté, outre d’autres aventures BD que je mène en parallèle avec lui, comme la série AD ROMAM par exemple, où je viens de le rejoindre, j’avais envie de me faire plaisir, c’est ce que j’ai fait avec Renar et Blerô. Ce sont des petites saynètes de philosophie à la con illustrée, quasi improvisées, façon fabliau… D’aspect ça ressemble aux BD que j’aimais lire enfant. Mais attention, ne nous y trompons pas: c’est de l’humour pour les grands. Je dirais donc que c’est pour les grands enfants de notre génération, qui ont grandi avec Fluide Glacial, L’Écho des Savanes ou Hara-Kiri, qui aiment rire à la fois gras (ou foie gras) et subtil (ou pas), et qui ne font pas une jaunisse ou une descente d’ovaires à la moindre saillie un tant soit peu impertinente. C’est un album que j’ai entrepris pour me détendre du monde où on vit, sans rien demander à personne. Je ne croyais même pas trouver un éditeur… Et puis je ne sais pas ce qui m’a pris, je l’ai envoyé à Mosquito, le petit éditeur des grands. Cela a été mon premier choix et mon seul envoi. Une intuition… L’éditeur m’a répondu qu’il ne publiait pas ce genre de trucs en général, mais que ça l’avait amusé, ce qui l’a décidé sans autre forme de procès, ce qui est tout à son honneur! Là, je travaille sur le tome 2.
Tu as été batteur, organisé des concerts à Marseille dans les années 1990. Quel sont tes rapports à la musique aujourd’hui ?
Elle me manque énormément… Je trouve que les jeunes font de la musique de vieux. En ce moment, on s’emmerde. À la place de Brassens on a Vianney, à la place de Michel Sardou on a Maître Gims, à la place d’AC/DC on a Bigflo et Oli, et même à la place d’Eddy Mitchell on a Eddy de Pretto… Bon, bien sûr y a des trucs mais il faut chercher et je ne sors plus. Je vis à la campagne où je cultive tranquillement ma misanthropie. Mais la zique, j’aimerais m’y remettre quand même avec quelques vieux craignos dans mon genre pour faire du bruit… On voulait reformer notre groupe cuculte des Steaks, avec mon pote guitariste Michel (dit Milk Burden), et faire l’album que trente ans plus tôt on avait failli faire… Mais il a eu la mauvaise idée de mourir à ce moment-là.
Y a t- il une BD qui corresponde à ta vision d’un « esprit rock »? Aujourd’hui ou hier…
Je vous conseille d’abord le biopic des Ramones de mon vieux pote aixois Eric Cartier au dessin: One, two, three, four, Ramones! Et puis sinon, en règle générale, je dirais que la BD rock a souvent mal vieilli. Avec le recul, on se demande comment on pouvait lire certains trucs qu’on adorait à l’époque. Mais je ferais une mention spéciale pour Kebra, de Tramber et Jano, qui passe quand même bien le cap et bien sûr Lucien de Margerin! Ce que j’adore dans mon boulot, c’est que quand j’avais 20 ans et que je me délectais de ses albums, si on m’avait dit qu’un jour on se boirait les bières ensemble, à passer des soirées mémorables avec Mandryka (que je lisais dans Pif avec son Concombre masqué) ou des Gilbert Shelton (l’auteur des Freaks Brothers) ou que je deviendrais copain avec Tito Topin, le dessinateur de Jean Yanne, par exemple… Eh bien je ne l’aurais pas cru. Et au final, ça paye des peines de ce métier qui est celui de la précarité organisée.
Si j’imagine que Renar et Blerô sont fans de Rock ? Dis nous ce qu’ils écoutent. Et supposons qu’ils forment un groupe… Comment l’appellent-ils ?
Si Renar et Blerô étaient fans de rock, je les verrais bien écouter les Toy Dolls ou Lucrate Milk, qui ont poussé la logique du bordel et l’absurde jusqu’à l’extrême de la musicalité… Dans la BD, il y a Zlibarkangourpu, un kangourou gourou qui porte son slip sur la tête parce que sa queue ne rentre pas dedans, qui est très mélomane et chantonne souvent de vieux tubes absurdes, surtout dans le tome 2 à venir… Si tous ces animaux de la forêt formaient un groupe punk, ils pourraient s’appeler… les T.D.B, « Tous Des Bédés« !
Portrait de Serge Scotto par la Maison de Pagnol
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.