Jilk, c’est d’abord le projet solo imaginé voici déjà dix ans par Jonathan Worsley. Rejoint ces dernières années par Cags Diep (violons), Terry Owen (trombone et vibraphone) et Neil Gay (chants, synthétiseurs et guitares), Jilk a évolué pour se réinventer comme un véritable groupe et concevoir, en 2017, un premier album. Combinant avec talent et maturité des éléments organiques (vibraphone, cordes et trombone…) dans une electronica toujours émouvante et humaine, doucement trouble avec ses expérimentations, Joy In the End décrit un univers sonore éclectique, abondant et dense, riche dans son interprétation aux couches sonores variées. L’album s’impose comme un objet fascinant tout à la fois étrange et beau, parfois angoissant mais pourtant apaisé où la musique évolue dans un intervalle constant, évoquant de manière subjective mais terriblement adéquate une fin du monde confidentielle qui n’attendra plus. Néanmoins, avant que l’apocalypse ne nous efface tous bientôt d’un rapide et sec coup de gomme, Cags et Jonathan, faisant fi du peu de temps qu’il nous reste à tous, ont bien voulu répondre à nos questions.
Comment vous êtes-vous rencontrés?
Jonathan: J’ai rencontré Terry il y a environ 13 ans. Nous fréquentions les mêmes soirées électroniques à Birmingham en plus d’être sur le même label. Je suis ensuite parti à Bristol pour mon Master en ingénierie musicale et c’est par l’intermédiaire d’un ami en commun que j’ai rencontré Cags et Neil. Nous nous connaissons tous depuis un moment désormais. Mais la manière dont nous avons commencé à écrire ensemble n’était en rien planifiée; nous ne nous sommes jamais dit que nous allions faire un groupe. Je crois juste que la scène de Bristol, ou tout au moins la communauté dans laquelle nous évoluons, fonctionne de cette manière: tout le monde collabore tout le temps et c’est donc assez naturellement que nous nous sommes mis à enregistrer ensemble parce que c’est l’habitude de travailler avec les musiciens que tu connais. Et à un moment, le projet s’est concrétisé comme un quatuor.
Est-ce que vous aviez tous auparavant un background dans le domaine de la musique?
Jonathan: Terry est un producteur et a sorti des morceaux sous le nom de T-toe, Cags travaille pour une société musicale de management et de mon côté, je suis ingénieur du son. Jilk ne nous permet pas de vivre ce qui est étrangement une bonne chose dans la mesure où nous ne ressentons pas d’obligation vis-à-vis du projet; nous pouvons en faire ce que nous voulons. Je me sens bien mieux de cette manière. Je crois que si cela devenait un véritable travail, cela me semblerait artificiel et bien plus difficile que cela ne l’est actuellement.
Jilk ne nous permet pas de vivre ce qui est étrangement une bonne chose dans la mesure où nous ne ressentons pas d’obligation vis-à-vis du groupe; nous pouvons en faire ce que nous voulons. Je crois que si cela devenait un véritable travail, cela me semblerait artificiel et bien plus difficile que cela ne l’est actuellement.
Avez-vous une manière habituelle de composer vos morceaux?
Jonathan: Récemment, nous nous nous sommes retrouvés dans une pièce pour discuter d’un remix et où est-ce que nous aimerions l’emmener. J’ai beaucoup apprécié ce moment et j’aimerais le refaire. Mais c’est sans doute la première fois que nous avons travaillé de manière égale pour avancer. Il est très rare que nous nous retrouvions ensemble pour écrire, en partant d’une page blanche. La plupart du temps, l’un de nous compose quelque chose de son côté puis le partage avec les autres. Chacun d’entre nous rajoute ensuite sa propre touche, sa perspective personnelle avec des résultats parfois surprenants. Ainsi, Neil a tendance à déconstruire tout ce que j’imagine pour en faire quelque chose de totalement différent ce qui peut être à la fois très excitant et terriblement déprimant. (sourire)
Cags: Le problème est que, parce que nous avons des boulots à plein temps et, pour certains, une vie de famille, il nous est très difficile de trouver du temps à passer ensemble. C’est la raison pour laquelle il nous faut trouver des moyens de collaborer à distance et échanger nos fichiers, nos pensées et nos idées.
Jonathan: J’ai néanmoins l’impression que si composer consistait à nous retrouver dans un studio, le processus d’écriture serait encore plus lent que maintenant et que nous ferions encore bien moins. (sourire)
Votre structure de groupe semble extrêmement malléable pour les live (Jonathan évoquait dans une interview neuf personnes sur scène pour certains concerts). Comment faites-vous pour adapter sur scène les morceaux en fonction des musiciens?
Cags: En fait, tu apprends constamment à t’adapter. Nous découpons l’ensemble du morceau, mettons à jour les différentes structures, qui devraient les jouer, les travaillons jusqu’à arriver à un résultat final qui fonctionnera et s’intégrera à l’ensemble.
Nous sommes avant tout un groupe de studio. Nous adorons les concerts et nous en faisons toujours quelques-uns dans l’année mais ce sont pour des occasions spéciales et pas des tournées. Ce que nous préférons, c’est l’écriture.
Jonathan: Je crois qu’il faut accepter le fait que tu ne reproduiras jamais parfaitement un morceau; en tous cas, pas comme il peut exister sur le disque. Et pour être honnête, c’est plus excitant pour moi. Les titres en concert sont vraiment différents de l’enregistrement et il faut que tu te résignes à l’idée que cela sera beaucoup plus libre et improvisé et sans doute jamais la même chose. Mais j’ai l’impression que nous sommes avant tout un groupe de studio. Nous adorons les concerts et nous en faisons toujours quelques-uns dans l’année mais ce sont pour des occasions spéciales et pas des longues tournées. Ce que nous préférons, c’est l’écriture.
Joy in the End est d’abord un album de musique électronique mais on y retrouve aussi beaucoup de styles différents qui vont du jazz au post-rock jusqu’au classique.
Cags: Il y a évidemment dans notre musique des éléments qui correspondent aux goûts de chacun d’entre nous. J’ai un background en musique classique donc je m’occupe souvent de l’arrangement des cordes. Nous avons travaillé avec un batteur de jazz pour deux morceaux sur Joy in the End et il a amené son influence. Lorsque nous collaborons avec d’autres musiciens, nous leur offrons la liberté de jouer ce qu’ils veulent, ce que le morceau peut leur inspirer plutôt que de leur donner des instructions sur ce qu’ils devraient faire.
Jonathan: Et nous les invitons à jouer sur notre musique parce que nous aimons naturellement ce qu’ils font. Nous avons proposé à Robbie, le batteur de jazz de l’album, de participer parce que nous l’avions vu dans d’autres projets. Mais je suis content que tu parles d’influences post-rock car c’était vraiment ce que nous recherchions: « Become The Build » est un hommage à des groupes comme Godspeed, you Black Emperor!. Ceci étant dit, nous sommes tous les quatre influencés par un tel éventail de musique que je ne suis pas sûr que ce soit toujours une bonne indication ou d’être facilement capable de dire d’où vient l’influence. Mais il est certain que Neil chantera toujours alors que Cags et moi ne devrions même pas essayer! (rires)
Il y a ces morceaux très ambient sur l’album et d’autres aux structures plus pop comme Green Creepers. Qu’est-ce qui est le plus excitant pour vous en tant que compositeurs?
Jonathan: Je considère « Green Creepers » comme un titre très singulier de Jilk. Nous n’avions jamais auparavant écrit quelque chose qui s’en rapproche. Pour moi, ce qui est le plus excitant en terme de compositions, comme pour les concerts, change régulièrement: il y a des moments où tout ce que je veux serait jouer de la musique drone la plus désagréable et difficile possible. Nous plaisantons d’ailleurs souvent sur le fait que nous devrions jouer des sets sur un seul accord. Mais finalement, j’apprécie vraiment tous les éléments de notre production. Mais je ne crois pas que nous pourrions faire un album avec uniquement des « Green Creepers » ou à l’opposé, un album d’ambient sans aucun rythme.
Il y a des moments où tout ce que je veux serait jouer de la musique drone la plus désagréable et difficile possible. Nous plaisantons d’ailleurs souvent sur le fait que nous devrions jouer des sets sur un seul accord.
Cags: Et parce que nous écrivons tous les chansons et que nous amenons tous les quatre des idées différentes, je ne crois pas que nous serions capable d’écrire un album avec les mêmes sonorités. Cela restera toujours très varié à cause de nos intérêts musicaux et de ce que nous écoutons.
Jonathan: C’est vrai. Il nous est vraiment difficile ou compliqué de nous conformer à un style avec quatre voix aux influences aussi distinctes que les nôtres. Ceci étant dit, nous travaillons actuellement sur notre prochain album. Et à peu près 50 % du matériel est construit en terme de chansons et paraîtra sans doute un peu plus pop que le reste de nos morceaux. Neil amène naturellement les compositions vers des structures plus accessibles comme celle de « Green Creepers »; avec un couplet et un refrain et une structure plus classique.
Je crois que Jonathan a suivi des études de cinéma et je trouve que Joy in the End a quelque chose de cinématographique: que ce soit à cause des instrumentaux ou du nom des morceaux, de cette boucle avec le titre du premier (« The End of Joy ») et du dernier morceau (« Joy in the End »). Il y a quelque chose qui tient du récit.
Jonathan: Absolument. Je passe pas mal de temps à regarder des films, à écouter des podcats sur le cinéma et les musiques de film sont des sujets fascinants pour moi. Il y a non seulement la musique mais aussi tout ce qui tient de la conception, de la création des textures sonores. J’essaie souvent d’ajouter dans nos morceaux des éléments d’ambiance tirés du monde réel; ceci autant pour créer une sensation d’espace sonore que de produire quelque chose de musical. En ce sens, je m’inspire sans aucun doute du cinéma et des films. En ce qui concerne cette idée du récit, nous avons sorti l’album physiquement par l’intermédiaire d’une série de cartes postales. Au dos de chacune des cartes postales, il y avait un texte qui correspondait à quelqu’un en train d’écrire une lettre évoquant le titre de la chanson. Mais ce sont des morceaux épars, une esquisse de structure et il serait compliqué de vraiment décrire l’histoire générale de l’album car l’objectif était plutôt d’évoquer des émotions et des sensations.
Cags: Nous sommes fascinés par le post-apocalyptique. C’est quelque chose dont nous parlons beaucoup entre nous et cela nous a sans doute inconsciemment influencé en imaginant l’album.
Jonathan: Cela et le sommeil! Soit nos morceaux sont à propos d’une post-apocalypse, soit il s’agit de dormir. En fait, nous n’avons aucun autre sujet pour notre musique! (rires)
Nous avons toujours été fascinés par le post-apocalyptique. C’est quelque chose dont nous parlons beaucoup entre nous et cela nous a sans doute inconsciemment influencé en imaginant l’album.
Vous êtes basés sur Bristol. Vous m’expliquez le lien fort entre cette ville et la musique électronique?
Cags: Les pionniers du dubstep et la trip hop ont commencé ici et depuis cette époque, la connection avec la musique électronique ne s’est jamais rompue. Je crois que, depuis ses débuts, ce son de basse très profond a toujours fait partie du paysage musical de Bristol. Et puis beaucoup de clubs ici ont souvent quelque chose de vraiment underground avec un son électronique un peu sale comme le Motion.
Jonathan: Il y a aussi un gros héritage venu de la culture sound system comme le dub ou le reggae; peut-être pas aussi importante que celle de Londres mais Bristol vient sans doute juste après pour ce genre de musique. Et je crois que c’est aussi un style de musique qui s’enorgueillit d’expérimenter en studio. Ces expérimentations créent une contre-culture qui a toujours été importante pour la ville. Politiquement, c’est une ville plutôt à gauche et libérale et je crois que cela se retrouve dans l’approche générale et progressive vis-à-vis à la fois de l’art et de la musique.
Est-ce que vous pouvez me dire quelques mots au sujet du futur album?
Cags: Tu sais, il est déjà extrêmement compliqué pour nous d’avancer sur le sujet. Nous étions d’ailleurs supposés être tous ensemble ce soir pour discuter de ce futur album mais certains se sont décommandés; raison pour laquelle nous nous retrouvons dans ce plan à trois avec toi! (rires). Le fait est que nous avons tellement de nouveaux morceaux que notre souci est désormais de rendre tout cela cohérent, de mettre les titres en ordre pour créer du sens. Nous envisageons un double album mais cela pourrait être trop… En fait, je ne sais pas… C’est une discussion que nous devons avoir tous ensemble.
Jonathan: L’album n’est pas totalement fini: les morceaux sont terminés à 80% et nous devons désormais les parfaire mais nous avons la base. Notre problème, c’est surtout cette abondance de matériel. Et je ne veux pas te paraître arrogant mais parce qu’il s’agit vraiment du travail de quatre forces créatrices, plus que jamais et certainement plus que le précédent, il est compliqué de rendre l’ensemble cohérent. L’une de mes activités préférées est de m’asseoir et d’essayer de multiples combinaisons entre les morceaux. Il y a certainement un très bon double album parmi toutes ces chansons mais peut-être aussi un excellent album accompagné d’un ou plusieurs EP. Avec la distribution numérique, tu n’es plus restreint par les limitations des formats physiques et il y a presque trop de différentes possibilités de le sortir. C’est plutôt marrant et c’est quelque chose qui me passionne mais il est devenu véritablement compliqué d’arriver à extraire quelque chose de définitif.
Est-ce qu’il sera différent de Joy In the End?
Cags: Je pense que c’est plutôt une progression. C’est un disque qui est le résultat d’une plus grand collaboration entre nous.
Jonathan: Il y a plus de chant sur celui-ci mais tu retrouveras aussi des morceaux post-rocks de onze minutes, des séquences des cordes, de la batterie, des cuivres… J’ai hâte de le voir fini. Je sais que les derniers morceaux sont souvent ceux que tu préfères mais j’ai vraiment beaucoup d’affection pour ceux-ci. Sans doute plus que pour d’autres morceaux passés.
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.
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