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Disques

Emma Ruth Rundle / Marked For Death

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Si tu es habitué de nos colonnes, ami lecteur, sache qu’il m’a été extrêmement difficile de choisir dans quelle rubrique poster cet article. Le concert d’Emma Ruth Rundle à l’Epicerie Moderne le 15 octobre dernier aurait mérité un live report en bonne et due forme, même s’il a partiellement, à mes yeux, occulté celui de Wovenhand – dont elle assurait la première partie de la tournée Européenne de cette fin d’année. Le disque qu’elle y présentait alors, Marked For Death (sorti quelques jours plus tôt chez Sargent House), m’avait particulièrement marqué et le compte rendu des vingt brèves minutes pendant lesquelles j’ai eu la chance de m’entretenir avec la musicienne auraient du très légitimement terminer dans la rubrique « interviews ».

Il est aussi difficile de savoir par où commencer pour décrire Marked For Death. L’épicentre qui, rapidement, s’impose, est peut-être la façon dont le chant poignant de Rundle nous prend à la gorge dès les premières minutes : l’émotion fiévreuse qui s’en dégage est contagieuse, allant d’inspirations profondes en murmures, trouvant toujours cette justesse qui rend l’air pesant et capte l’attention avec fermeté, soutenue par des guitares acoustiques parfois brutes et décharnées (à l’image du déchirant « Real Big Sky », qui clôture le disque de la plus belle manière qu’on puisse imaginer et qui reflèterait, à lui seul, l’expérience sensorielle et psychologique que la génèse de l’album a pu représenter) mais aussi cristallines, baignées de reverb et de delay. Les textures musicales et vocales incarnent habilement les sujets abordés ici : sentiments de perte (des autres et de soi-même), de solitude, d’abandon. Rundle, tout en protégeant le mystère de ses textes et de leurs protagonistes, ne cache pas leur caractère autobiographique : ce disque est une oeuvre extrêmement personnelle et tout en lui, du processus de son écriture jusqu’aux thèmes et à la forme de ses compositions, est une photographie intime (à l’image de la pochette de l’album, autoportrait sur lequel la chanteuse a voulu se montrer sans artifice, à son plus vulnérable) ; un voyage initiatique et solitaire dans le désert – au sens propre comme au sens figuré. Les chansons du disque ont en effet été composées lors d’une retraite hivernale de plusieurs semaines à « La Ferme », l’un des studios de l’écurie Sargent House, paumé dans le désert Californien, à plus d’une heure trente de route de Los Angeles. Il y faisait un froid permanent et la chanteuse s’y est isolée totalement pour écrire et produire la majeure partie de l’album. En résultent ces atmosphères immobiles et tendues, ces sensations pénétrantes d’affrontement intérieur entre états de dépression profonde et instinct de survie mentale, où l’on recherche alors de rares traces de beauté dans les situations de désespoir extrême.

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Lorsqu’on aborde cet aspect de son travail, Rundle admet que la musique qu’elle livre sous son propre nom est, bien sûr, plus personnel que la musique qu’elle compose au sein de Marriages (même si, d’après ses mots, la musique de Marriages est également le fruit d’expériences personnelles, à un niveau différent). Mais l’écriture de cet album a eu pour elle un coté véritablement cathartique. « Il fallait que je marque la fin d’une période vraiment difficile, j’ai ressenti ce besoin d’exprimer, au travers de ces chansons, le reflet brut de l’ensemble des émotions qui m’ont traversées. » Sans jamais se complaire dans l’excès, abordant à de multiples reprises la spiritualité sans tomber dans le piège de l’hégémonie religieuse, Rundle est convaincante. Elle fait preuve d’un songwriting épuré, appuyé par la production ciselée de Sonny DiPerri (Animal Collective, Portugal. The Man) mais qui laisse libre cours à la richesse des compositions lorsqu’elles sont interprétées de façon plus minimaliste, comme ce fut le cas sur sa tournée solo avec Wovenhand en automne dernier (voir ci-dessous).

En parallèle, et pour terminer – il est intéressant, lorsqu’on se penche sur la discographie de la californienne, de s’apercevoir que son premier disque solo se classe dans un tout autre registre : composé de nappes de guitares superposées et d’accords égrenés de façon épurée et parcimonieuse, qui peut parfois rappeler Barn Owl, Earth, ou la bande originale du « Dead Man » de Jarmusch (composée par… Neil Young), Electric Guitar I est plutôt un recueil de titres instrumentaux improvisés, dont la plupart on été « composés sur la route » dit-elle, « alors que j’étais en tournée en Europe avec Red Sparowes en 2010 ». Le successeur de ce disque de musique ambiante et expérimentale, sobrement intitulé Electric Guitar II, devrait voir le jour en 2017 – pour notre plus grand plaisir, car cette facette plus confidentielle de la musique de l’américaine a particulièrement attiré notre attention. Emma Ruth Rundle devrait revenir en Europe d’ici quelques mois, mais l’avenir nous dira si c’est à nouveau sous son patronyme, ou cette fois-ci avec Marriages (on ne l’espère pas moins). Quoiqu’il en soit, on ne manquera pas de vous en reparler.

Photos live : Gérald Tournier – www.lowlightsanddecibels.com

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