A considérer l’affection véritablement démesurée et totalement déraisonnable du rédacteur de ces quelques lignes pour la juste parfaite electro pop douce amère de Noah Stitelman, le new-yorkais caché derrière les projets Neighbors et Total Makeover, il paraît bien sûr extrêmement compliqué de trouver une quelconque excuse valable pour le retard excessivement obscène et carrément insultant de parution de cette interview (un an et des bonnes grosses broutilles, en fait); à part peut-être de considérer que d’aucuns ont attendu le nouvel album de My Bloody Valentine bien plus longtemps. Puisque la lapidation est désormais la propriété exclusive de l’Etat Islamique, il faudra dès lors se contenter à nouveau de mes plus plates excuses presque sincères et m’entendre répéter, une fois encore, que Noah Stitelman est, à ma connaissance, sans doute aucun l’un des plus doués songwriters de Brooklyn (ce qui est déjà juste énorme) et proportionnellement autant qu’injustement l’un des plus méconnus. Car peu d’albums d’électropop ont su à l’instar de Failure, le dernier album de Neighbors, réveiller de si jolie manière un palpitant sclérosé par les décennies et me faire tressaillir sur mes appuis d’un bonheur aussi immédiat et durable. Une fois l’aventure Neighbors terminée, le trentenaire s’en ira se réinventer via Total Makeover; electro pop (encore!) parfumée aux effluves presque aussi viriles qu’un John McClane gouailleur version John McTiernan pour un résultat de cador: plus rentre-dedans, acérée et crâneuse, la nervosité jubilatoire des compositions ne cache jamais le talent absolument remarquable de Stitelman pour les refrains catchy et son regard constamment et joliment désabusé.
Tu as commencé la musique très jeune, je crois.
Oui, j’avais neuf ou dix ans. J’ai commencé avec la batterie mais j’étais horriblement mauvais donc je me suis dirigé vers la guitare pour laquelle je suis bien meilleur. J’ai un peu l’impression d’avoir fait de la musique toute ma vie.
Tu as fait partie de pas mal d’autres groupes avant de commencer Neighbors. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment, tu décides de monter ton propre projet?
Je n’ai jamais eu l’impression de chanter très bien et je suis très jaloux de toutes mes connaissances qui ont une bien plus belle voix. Je fais de mon mieux pendant les enregistrements et les concerts mais je sais pertinemment que chanter n’est pas ma qualité principale. Avec les gens qui chantent de manière extraordinaire, il y a toujours ce moment où tu te dis: « Waouh…. » C’est la raison pour laquelle, pendant assez longtemps, je n’ai pas eu envie de me retrouver dans la lumière. Mais dans le même temps, j’ai toujours écrit des chanson ou des paroles. Donc j’ai toujours eu l’impression que, même sans avoir la confiance de le faire, c’était quelque chose que je devais faire. L’autre problème, lorsque tu es dans un groupe, entouré d’autres musiciens, c’est que tu te disputes souvent et plus le temps passe, plus tu te prends la tête avec eux (sourire). Il y a tant de musiciens qui ne peuvent tellement plus s’encadrer qu’ils sont obligés d’enregistrer leurs parties séparément. Tu n’as qu’à voir les Rolling Stones: lorsqu’ils partent en tournée, ils ont chacun leur bus et comme cela ils ne sont plus obligés de se voir ou de se parler. Il est si facile de se détester lorsque tu es dans un groupe. Au final, j’en ai eu assez de ces engueulades incessantes. Dans le même temps, je savais que j’avais besoin d’exprimer ces idées qui me trottaient dans la tête donc je me suis dit que peu importe: pas mal de gens ne savent pas chanter non plus, autant faire du mieux que je peux. J’adore New Order mais je reconnais que Barney est un chanteur terrible d’un point de vue vocal. Néanmoins, je le trouve extraordinaire dans la mesure où il s’exprime d’une façon authentique. Et je crois que plus je vieillis, plus je me rends compte que c’est ce qui rend un chanteur intéressant. Mais plus jeune, j’étais extrêmement critique envers moi-même. Des gens me disent que je chante bien mais lors que je m’entends, et particulièrement en concert, je continue à trouver ma voix juste horrible. Je crois que c’est David Byrne qui a dit: « Plus quelqu’un chante bien moins je crois en ce qu’il raconte » et j’ai toujours pensé que c’était une super citation parce qu’elle me correspond… Même si je suis persuadé que quelqu’un d’autre a très certainement dit: « Le mieux tu chantes, le plus extraordinaire est tout le reste » (rires).
Mais lorsque tu as commencé Neighbors, as-tu réussi à te passer d’autres musiciens?
Sur les deux premiers EPs, il n’y a pas de batterie et à part des violons et des backing vocals, il n’y avait pas d’autres musiciens. J’ai tout fait moi-même à la maison, assis dans un coin pendant deux mois. Après ces deux disques, je me suis dit qu’il me fallait absolument une batterie. Le seul problème, c’est que je n’en avais pas joué depuis un moment et que mon appartement est tout petit donc je ne savais pas où je pouvais la mettre pour enregistrer. Je me suis dit que je ferai la batterie à l’ordinateur. Certaines personnes y réussissent très bien mais ce n’est pas mon cas et je me suis rapidement rendu compte qu’il me fallait une vraie batterie. Et désormais, que ce soit pour Neighbors ou Total Makeover, le batteur enregistre le premier. Je programme des parties de batterie sur l’ordinateur, le batteur l’écoute quelques fois, il arrive et enregistre en studio avec le click de la démo dans ses oreilles. Ensuite, nous nous débarrassons de la démo et reconstruisons la chanson à partir de la batterie. C’est une manière sympa de faire les choses. Après avoir passé des heures à enregistrer des démos, il est facile de se fatiguer parce que tu as entendu la chanson des centaines de fois mais lorsque tu commences avec la batterie, cela rajoute immédiatement de la vie et tu peux te dire « Oh, ça c’est une vraie chanson ». C’est une manière de s’intéresser au morceau à nouveau et je suis plutôt satisfait de cette façon de travailler, de ce processus, même si un jour ou l’autre, je ferai autrement.
Tu vis à Brooklyn. Tu as l’impression de faire partie d’une scène musicale locale?
Il est difficile pour moi d’identifier spécifiquement une scène musicale ici. Les musiciens ont tellement de styles différents; ce n’est pas comme si tu pouvais coller une étiquette à un ensemble de groupe. La plupart des petits clubs comme Shea Stadium ou Baby’s All Right n’ont pas un genre de musique bien défini: une nuit, ils auront du jazz, une autre fois, c’est Perfect Pussy qui viendra jouer et la suivante un groupe d’électropop. Brooklyn, c’est juste une palanquée de gens faisant tout un tas de choses. Et quand tu te rapproches de ce genre de personnes, de ces gens que tu apprécies ou pas, qui font des choses intéressantes ou pas, tu te rends compte que c’est un environnement très compétitif, que tout le monde se déteste plus ou moins car tout le monde veut être le meilleur. Une personne qui ne réussit pas correspond à une chance pour toi; il faut juste lui passer devant. J’ai sûrement l’air très aigri lorsque je t’explique cela mais c’est vraiment ainsi que je ressens les choses. Dans le même temps, plus je vieillis, plus j’ai envie de me contenter de voir et d’apprécier des gens qui réalisent des choses extraordinaires. Après, peut-être que ce qui rassemble le plus en ce moment, c’est ce revival rock nineties. Il y a des tonnes de groupes dans tout New York qui se connaissent, qui jouent et n’arrêtent pas de faire des concerts ensemble. Et ils sont super jeunes.
Brooklyn est un environnement très compétitif. Tout le monde se déteste plus ou moins car tout le monde veut être le meilleur. Une personne qui ne réussit pas correspond à une chance pour toi; il faut juste lui passer devant.
Finalement, appeler le dernier album de Neighbors, Failure, c’était vraiment une bonne idée?
A l’époque, je ne savais pas que ça allait être le dernier album du groupe… Et qui sait, peut-être que dans dix ans, il y en aura un nouveau. Je n’ai rien décidé de définitif à ce sujet. Quoiqu’il en soit, à l’époque, j’avais la sensation que cela faisait longtemps que je faisais de la musique, que je devenais meilleur, que de plus en plus de gens venaient à nos concerts et que les choses allaient plutôt bien. Alors, peut-être que le disque aurait dû s’appeler « Qu’est ce que le succès de toutes manières? » (rires). Je crois que tout le monde a besoin d’une raison pour faire quelque chose, à moins d’être un psychopathe ou le genre de personnes qui foutent des coups de pieds aux oiseaux pour se marrer. J’imagine que plus jeune, lorsque j’ai commencé à faire de la musique, je rêvais de faire de longues tournées, de devenir très célèbre. Si, à vingt ans, tu m’avais dit que j’allais sortir un album appelé Failure, j’aurais sûrement été comme un dingue. Arrivé à trente ans, j’ai perdu cet enthousiasme alors je me contente la plupart du temps de quelques laconiques: « C’est cool » ou « C’est sympa ». En fait, plus tu vieillis, plus tu te rends compte que, finalement, ces étapes ne représentent pas grand chose. Donc je crois qu’appeler le disque Failure me permettait juste de rassembler toutes ces idées. Je n’ai jamais eu l’intention de me complaire dans l’apitoiement, de m’amuser à me dire: « Oh, quel échec ce disque va être! Super! ». Je me demandais juste si nous allions quelque part pour réaliser quelque chose et au final, c’est devenu un titre compliqué.
La pochette de cet album évoque directement celle de Violator de Depeche Mode.
J’écoutais pas mal de Depeche Mode tandis que je réfléchissais à Failure donc peut-être que ces images se sont mélangées inconsciemment dans mon esprit. Pourtant, je ne possède pas d’album de Depeche Mode. J’écoute leurs disques sur Spotify. Mais même New Order a parfois des compositions florales sur ses pochettes. C’est une esthétique que l’on retrouve souvent dans toute la New Wave, Post Punk des années 80. Mais j’avais cette image dans ma tête d’une rose blanche en plastique et du nom « Neighbors » dans un néon au dessus. C’est un ami qui a réalisé cette image sur son ordinateur qui est exactement celle que je recherchais. J’adore toujours cette pochette et je n’arrête pas de me dire que plus rien ne sera à sa hauteur. J’ai des regrets au sujet de certains morceaux de l’album mais aucun sur la pochette de l’album.
De mon côté, la première fois que j’ai écouté Failure, le solo de guitare de « Wild Enough » m’a beaucoup déstabilisé.
Je le trouve génial. J’étais tellement fier de moi-même lorsque je l’ai trouvé (rires). Lorsque j’écrivais cette chanson, je savais que j’allais l’adorer. Tous les compositeurs te diront que certaines chansons arrivent d’elles-mêmes, sans effort, tandis que d’autres sont juste une torture à extraire de ton cerveau. Mais ces morceaux qui apparaissent par eux-mêmes sont très souvent ceux que tu préfères. « Wild Enough » est l’une de ces chansons. Pendant que je travaillais dessus, sans même me concentrer à 100%, je savais que j’allais avoir une section qui serait un solo, un instrumental. Je me suis juste assis, avec ma guitare et j’ai commencé à jouer ce solo complètement loufoque. Parfois, lorsque tu enregistres, c’est super chiant de travailler des voix; tu recommences sans cesse alors que jouer les parties de basse et de guitare, c’est tellement sympa que j’ai parfois l’impression de méditer durant l’enregistrement. Et j’ai toujours conservé une ligne de conduite: celle de ne pas couper, de conserver la prise entière pour préserver le ressenti. J’ai bien dû jouer ce solo peut-être 100 fois pour qu’il soit parfait parce qu’il est tellement agréable à jouer… En fait, en deux minutes, tu viens de mettre le doigt sur les deux choses dont je suis le plus fier sur Failure : la pochette et le solo de guitare. (rires)
« Jenny Jones » est une chanson vraiment cruelle, non ?
C’est marrant parce que j’ai souvent l’impression que les gens ne remarquent pas combien je peux être un vrai salopard dans les chansons! Il y en a quelques-unes dans lesquelles je suis vraiment méchant. Au final, je crois que c’est souvent la manière dont je ressens les choses. Tu sais, c’est marrant, il y a beaucoup de gens qui pensent que les traits de caractères que tu détestes chez les autres sont en fait des aspects de toi-même que tu n’as pas le courage de reconnaitre. Après, je ne sais pas si « Jenny Jones » est une chanson vraiment cruelle. Elle retrace les différents moments de la vie d’une personne: dans un premier temps, lorsque tu es gamin, tu es comme une éponge et tu absorbes toutes les émotions et les informations autour de toi pour construire ta personnalité avec tout ce que tu découvres dans ta vie. Tandis que dans un deuxième temps, tu crois tout savoir, tout connaître, tout comprendre. Dans le troisième, tu te mets à bosser et tu te rends compte que tu fais juste partie du troupeau comme tout le monde et que ce n’est certainement pas la vie à laquelle tu t’attendais. Alors, c’est peut-être que le fait que ce soit vu par le prisme d’un personnage donne ce côté très cruel mais j’ai l’impression que la plupart des individus traversent ces phases dans leur vie. En tous cas, c’est mon cas. Donc oui, c’est cruel mais c’est cruel pour tout le monde. La vie est cruelle. (rires)
J’ai souvent l’impression que les gens ne remarquent pas combien je peux être un vrai salopard dans les chansons! Il y en a quelques-unes dans lesquelles je suis vraiment méchant.
« Young Things » est mon morceau préféré de l’album. C’est d’ailleurs un morceau sans doute plus rock que le reste, déjà proche de l’univers de Total Makeover. Mais je trouve cela plutôt bizarre de finir l’album avec une chanson aussi upbeat.
C’est marrant que tu apprécies cette chanson parce qu’elle est aussi assez cruelle. Il est vrai qu’elle est proche des compositions de Total Makeover. Il est compliqué d’établir une tracklist pour un disque et ça l’est d’autant plus lorsque tu essaies d’écrire toutes les chansons comme si elles pouvaient être écoutées indépendamment, à la manière d’un single. C’est ce que j’ai voulu faire pour Failure. Mais il était particulièrement compliqué de trouver la place de « Young Things » sur l’album. Pas mal de gens m’ont dit que cette chanson aurait dû être un peu plus haut dans la tracklist et j’ai moi-même hésité entre celle-ci et « Epic Meltdown » pour terminer. Mais d’un point de vue des paroles, je crois que cette chansons parle de résolutions et du fait qu’il faut malgré tout continuer. D’un point de vue thématique, je trouvais que cela correspondait à une chouette fin et j’aime que l’album finisse sur une note forte.
Avoue. « Epic Meltdown » parle de tes aventures dans l’univers sado-masochiste?
Non… Enfin, un petit peu! (rires) Mais la chanson n’a rien à voir avec attacher quelqu’un et lui tordre les tétons! Il s’agit plutôt d’un morceau sur deux personnes avec une relation platonique, jouant à un jeu mental et romantique l’un envers l’autre et qui poussent leurs limites pour voir jusqu’où elles peuvent aller. « You’ve had an epic meltdown but still we had a good time » décrit ces moments durant lesquels tu deviens barjot, tu pars en morceaux mais dans le même temps, tu prends du plaisir… Donc oui, c’est un peu sado masochiste (sourire).
A quoi ressemblait un concert des maintenant défunts Neighbors?
Nous étions six sur scène. Je crois que le Village Voice nous avait décrit comme « un mini van de clowns débarquant sur scène ». (rires) Je voulais un gros son donc j’avais rassemblé beaucoup de gens autour de moi: deux claviers, une basse, la guitare, une choriste, le chant et un batteur. A cause de notre nombre, nous avions du mal à jouer sur les petites scènes mais c’était marrant.
Pourquoi as-tu alors décidé d’arrêter ce projet?
Neighbors existe depuis un bon moment : nous avons fait deux EP et deux albums et j’avais l’impression qu’il était temps de passer à quelque chose de nouveau. Après Failure, je me suis arrêté d’écrire pendant un moment parce que je pense que c’était ce qu’il fallait faire. Nous avons joué pas mal de concerts puis je me suis mis à composer ce qui aurait dû être le nouvel album de Neighbors. Les chansons étaient très biens mais je ne trouvais pas cela excitant. Je voulais écrire des chansons de manière très différente, avoir une approche plus agressive et punk. Cela m’a pris un bon moment mais m’a vraiment plu donc j’ai décidé de continuer à écrire des chansons dans ce style. Je me suis dit: « Okay, je veux que ce soit quelque chose de complètement nouveau, que cela ne soit plus Neighbors. » D’ailleurs, je déteste le nom de Neighbors depuis longtemps: il est juste trop compliqué de nous trouver sur Internet et j’étais vraiment excité par la perspective de pouvoir créer quelque chose de nouveau. J’ai aussi réalisé que mes chanteurs et mes chansons préférées savaient être à la fois énervés et drôles alors qu’il était très difficile aux morceaux de Neighbors d’être drôles ou même énervés. Parce que c’était de l’electro très douce, j’arrivais à être mélancolique avec des accents doux amers. Ce qui n’est pas un problème en soi mais je voulais prendre plus de risques du point de vue des thèmes ou des paroles. Et c’est ce que j’arrive à faire avec Total Makeover. Donc oui, je suis vraiment excité par ce nouveau projet.
Je me suis rendu compte qu’il était très difficile aux morceaux de Neighbors d’être drôles ou énervés. Parce que c’était de l’electro très douce, je savais être mélancolique avec des accents doux amers mais je voulais prendre plus de risques du point de vue des thèmes ou des paroles.
Mais j’avais cru comprendre que vous deviez aller à South by Southwest avant d’arrêter Neighbors?
Nous sommes allés à South by Southwest il y a quelques années pour jouer quelques concerts et c’était très bien mais… Nous avons tous des boulots et nous devons gagner de l’argent; amener six personnes à Austin est épuisant physiquement et financièrement problématique. Nous aurions dû dépenser de l’argent que nous n’aurions très certainement pas récupéré. Je savais que Neighbors n’avait pas de futur donc cela me semblait inutile d’utiliser South by Southwest comme moyen de promotion.
Vous n’avez jamais vraiment tourné?
Tu serais surpris de constater combien peu de proposition de tournée nous avons eu. Je crois que l’un de nos problèmes, en plus de notre quantité d’équipement juste dingue, était que nous étions six donc il était complexe de tous nous gérer. Etre désormais quatre personnes permet de faire plus de choses pour le groupe.
Tu as donc l’impression que Total Makeover est un ensemble bien plus collaboratif que Neighbors?
Tout à fait. Je continue à tout écrire mais notre cercle est beaucoup plus restreint donc bien plus facile. Créativement, je me sens très proche de notre batteur. J’ai une longue collaboration musicale avec notre bassiste et je fais toute confiance à notre clavier. Nous n’allons toujours pas dans une pièce pour écrire des chansons ensemble mais j’ai plus l’impression d’un groupe plutôt que des gens qui se retrouve pour jouer de la musique ensemble. Quand un groupe est composé de quatre personnes, tout le monde a envie de contribuer tandis que dans une formation de six musiciens dont une partie ne vient que pour jouer pendant les concerts, la dynamique est totalement différente: certains ne pourront pas respecter une proposition parce qu’ils ont autre chose à faire; l’implication n’est vraiment pas la même. Etre quatre personnes nous permettra de faire plus de choses dans ce genre.
Tous les musiciens de Total Makeover faisaient partie de Neighbors ?
Oui, presque tous. Julie joue toujours des claviers. Brian fait partie de Neighbors depuis les tous débuts en tant que second clavier. Je crois que je vais réussir à le rendre dingue. Il y a sept ans, il a rejoint mon groupe avant Neighbors comme violoniste et lorsque Neighbors a commencé, je lui ai expliqué que je voulais désormais qu’il joue des claviers. C’est un super musicien mais c’est quelque chose qu’il n’avait jamais fait et, au fil du temps, il est devenu vraiment bon. Et désormais, je lui ai demandé de jouer de la basse pour Total Makeover. Ce n’est pas un joueur de basse mais je savais qu’il pouvait le faire. Et j’ai l’ambition de le faire changer le moment où il deviendra vraiment excellent comme bassiste, de peut-être lui demander de jouer du saxophone! (rires) Le batteur d’origine de Neighbors a quitté le groupe dans de très bonnes conditions donc le nouveau a joué trois concerts avec Neighbors avant de rejoindre Total Makeover. Mais il a un autre groupe qui va faire une tournée donc on verra ce qui passe à ce moment.
Pour moi, la rupture stylistique n’est pas si évidente : on reconnait le style de Neighbors dans Total Makeover.
C’est toujours le cas, tu ne crois pas? Lorsque Jack White fait les Raconteurs après les White Stripes, ça ressemble à 100% à du Jack White, n’est-ce pas? Pour moi, c’est vraiment différent même si je peux comprendre que pour d’autres personnes, cela semble être la même chose. Mais au final, cela n’a pas vraiment d’importance. Le truc marrant, c’est que le nom de Total Makeover n’a rien à voir avec le fait de commencer un nouveau groupe. Ce n’est même pas supposé être une blague, je ne l’ai jamais envisagé sous cet angle. J’ai fait des listes de noms sans fin jusqu’à ce que j’arrive à « Total Makeover » en me disant que enfin, je l’avais trouvé. Et une semaine plus tard, je croise un pote qui m’explique la même chose que toi, que c’est marrant de recommencer un nouveau projet avec un tel nom de groupe.
Mais tu aimerais tourner ou cela ne te semble pas important pour le groupe?
J’adorerais le faire et tout le monde m’explique tout le temps que c’est vraiment important. Mais j’ai aussi envie de faire les choses lorsque je pense que c’est le bon moment. Et cela n’a semblé jamais vraiment être le cas avec Neighbors. Mais tourner fait partie du futur de Total Makeover. Il faut juste que je finisse les chansons d’abord. Et puis il y a le problème du travail. Nous avons tous des jobs. Je vois tous ces groupes de punk ou de rock qui, sur scène, ont l’air de tout juste sortir du bureau. C’est difficile d’être dans un groupe en ce moment. Il n’y a juste pas d’argent du tout. Et plus tu as du succès, plus il y a des gens qui sont là pour prendre le peu que tu gagnes. Je te suivrais sans hésiter si, du jour au lendemain, tu me proposais une tournée avec des plans corrects et 200 dollars par soirée. Mais c’est compliqué pour certains membres de mon groupe car ils vont t’expliquer qu’ils n’ont personne pour promener le chien. Lorsque tu es trentenaire et que tu as un bon boulot et une assurance maladie, tu n’as juste pas envie de quitter ton confort de vie et je le comprends très bien. Je crois d’ailleurs que, à un moment ou un autre, cela concerne tous les groupes. Lorsque tu as 20, 21 ans, c’est plus facile de te foutre de tout cela parce que tu veux juste faire ton truc. Mais je rencontre également beaucoup de gens qui ont fait de la musique entre 20 et 30 ans et qui te disent qu’ils veulent juste maintenant un putain de boulot, des gamins ou aller chez le dentiste. Ils t’expliquent qu’ils ont joué de la musique pendant toute leur jeunesse et qu’ils ne savent rien faire d’autre et ils se retrouvent finalement à bosser chez Starbucks ou dans une épicerie.
Je rencontre beaucoup de gens qui ont fait uniquement de la musique entre 20 et 30 ans et qui te disent qu’ils veulent maintenant un putain de boulot, des gamins ou juste aller chez le dentiste. (…) Ils se retrouvent finalement à bosser chez Starbucks ou dans une épicerie.
La situation est vraiment dure et ça devient de pire en pire chaque année. En fait, je ne connais pas la réponse à ta question: j’aimerais faire de la musique toute la journée et mon endroit préféré dans l’univers pour jouer est un bar qui sent la bière frelatée et dans lequel errent des petites amies malheureuses. J’adore cela. Mais en définitive, tout le monde doit payer la facture d’électricité. Il y a quelques années, il y a eu un article dans un magazine new-yorkais sur Grizzly Bear. Il est paru au moment où le groupe marchait très bien. Les membres expliquaient qu’ils se consacraient à leur musique mais qu’aucun d’entre eux n’avait une assurance maladie ou de l’argent. Et pourtant ils jouaient dans un groupe relativement célèbre. Et il n’y a rien de plus vrai. Tout cela peut paraître pessimiste mais dans le même temps, je crois aussi qu’il est encore plus important de ne pas abandonner les choses qui te tiennent vraiment à coeur. Et je ne te dis pas cela pour te faire la leçon, pour t’expliquer que: « Si tu n’abandonnes pas, tu trouveras finalement le succès » parce que ça n’a rien à voir ou en tous cas, je n’en ai aucune idée. Ce dont je suis par contre persuadé, c’est que la plupart des gens n’ont pas une idée très précise de ce qu’ils veulent faire de leur vie. Ils vont bosser, ils rentrent chez eux, ils dînent, ils regardent la télévision et ils ne savent probablement pas s’ils veulent même faire quelque chose. J’aime écrire et jouer des chansons et j’ai l’impression que, de cette manière, je n’ai pas à me battre pour savoir ce que j’aime faire. Et je le fais d’une façon que j’apprécie suffisamment pour ne pas avoir besoin que quelqu’un me paye ou me demande de le faire. Alors, que veux-tu que je fasse d’autre?
NDLA: Surprise, surprise, Neighbors (oui, Neighbors!) sera en première partie de Aloha le 8 Octobre 2016 au Baby’s All Right de Brooklyn… Si jamais vous passez par là…
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.