En cette fin Septembre 2015, que peut-on bien attendre d’un nouvel album de New Order ou bien, de façon plus tranchée, que pourrait-on encore attendre de New Order ? La question est largement ouverte, qui se situe ailleurs que dans le fait que New Order ait travaillé hiver et printemps sur un nouvel LP. Ce – et ceux – dont je parle ici c’est nous, les auditeurs et/ou fans. Qu’avons nous encore à faire avec NO, pourquoi aurait-on besoin, envie d’eux après toutes ces années ? Je me souviens d’une question que je posai en Juin 2007, faussement naïf, à un Hooky en rupture de groupe : « What’s wrong with New Order ? ». Et le barbu bassiste de me sourire en coin, faisant une sorte de moue dubitative, pour ne répondre qu’à moitié d’une métaphore sur le temps et l’âge, concluant par « I am 51 now… ». J’avais hoché la tête, me demandant si c’était du lard ou du cochon cette réponse, puis me rappelant en flashback que Morrison avait déclaré à 27 ans qu’il se sentait trop vieux pour être encore chanteur de rock. Au sens strict, je n’étais pas très loin de partager ce point de vue. Mais qu’est ce qui n’allait pas avec New Order, Hooky ? L’âge, quand on connaissait son tempérament, c’était un peu du pipeau (ou du mélodica ?). Ce qu’implicitement Peter Hook me suggérait, c’était sans doute que les vétérans de la new-wave mancunienne avaient déjà tellement innové et réussi plusieurs fois à rebondir vers l’inespéré, que lui n’en attendait plus rien sinon des redites. L’avis l’engageait seul, naturellement, ce que la suite a démontré et ce à quoi Music Complete va peut-être répondre.
Attendre c’est prendre un risque, celui de la déception.
En 2001 pour un (grand) retour de NO avec Get Ready, Bernard Sumner chantait « It was summer now it’s autumn » et nous voici à nouveau en automne. A ce stade de son parcours, New Order était resté en un silencieux stand by depuis 1993 et ses « Regrets », qui ouvraient Republic. L’ album peu passionnant avait clôturé dans un fiasco économique et relationnel la période 1 du groupe, c’est à dire douze années où l’on n’avait eu que du très bon. Un peu plus d’une décennie de musique passionnante depuis 1981, heure de la première résilience, jusqu’au temps de la chute du rêve indépendant Factory , entreprise artistique et ludique de Tony Wilson, fichtrement mal financée aux dépens des ex-Joy Division. Alors « Maintenant c’est l’automne… », d’accord Barney. Dis-nous comment sont les bois et les bosquets autour d’Alderley Edge et sur la route de Pretsbury ? J’écris quelque chose d’un peu curieux : New Order serait-il un groupe d’automne ? Lui si résilient, ne devrait-il pas, en toute logique, être printanier ? Music Complete sera t’il automnal ou de l’heure des nouvelles fleurs ? J’ai souvent associé NO à la saison où baisse le jour, quand « les avenues bordées d’arbres » sont bientôt jonchées de feuilles tombées et jaunies. Un véritable acte de foi, béat comme il se doit – True Faith. Et ces « Avenues All lined with trees« , image-phrase, phare clair obscur, écrite mais si peu chantée par Ian Curtis sur « Ceremony ». Triste célébration mise en mode majeur pourtant, qui devint le single inaugural de New Order. Une vision d’automne (mode mineur) pour une renaissance (majeur). Ces gens sont une véritable oxymore, non ? Ou NO est-il de toutes les saisons ?
La (longue) parenthèse enchantée de New Order.
« Ceremony », je me souviendrai toujours de ces minutes là, je l’ai écouté pour la première fois en octobre 1981. Vinyle noir sorti tout neuf de sa belle pochette vert sombre, par un disquaire à qui je l’avais demandé n’étant pas très sûr, de mon côté, qu’il l’aurait. Autant dire que ce fut un véritable enchantement. Autant dire ce qui est vrai, « Ceremony » par une sorte de magie ouvrit ce qui fut la plus belle aventure musicale qui me fut offerte. Alors fin septembre est-il aussi le moment idéal pour l’arrivée de ce Music Complete qui marque un autre départ (comprendre le mot au sens double, bien sûr)? Symboliquement oui. Du moins si on s’attache à cette approche mélancolique de la musique des quatre de la jonction Salford-Macclesfield, les citadins et les campagnards. Musique (complète) qui ne saurait être limitée à l’option machine à danser Mad Chester, mais constitue un tout beaucoup moins net, entre deux humeurs. Et parce que NO, qui a composé à lui tout seul une quasi-histoire du rock des trente dernières années, est une terre de contraste, évoluant pourtant au sein d’un même carré à priori pas très large. Un exploit pour des petits malins feignant de l’ignorer pendant deux décennies au moins, ce qui est bien dans le genre des types du Cheshire si vert et si gris, aux ciels percés de puits lumineux que masquent par intermittence les nuages venus de l’Ouest. Une autre parenthèse.
Retour et absence – Music Complete 1
Music Complete marque le grand retour de Gillian Gilbert aux claviers (absente depuis 1998) et l’on s’en réjouit. Mais il souligne sur fond conflictuel le départ de Peter Hook (2006), lequel déclara donc forfait après le moyen Waiting For The Sirens Call et la tournée qui suivit. A son sujet Gillian déclare en interview « Qu’il ne se sentait plus très bien avec New Order, sur scène non plus ». Paroles qui, lorsqu’on connaît le bonhomme, en disent terriblement long. Ce nouveau LP installe de fait Tom Chapman à la basse. Bien que présent sur scène depuis 2011, il lui incombe désormais le rôle délicat de remplaçant d’un membre qu’on considère sans exagération comme irremplaçable. L ‘équilibre se fait-il ? On peut en douter. Pour plusieurs raisons. Si Gillian est venue dès 1981 rejoindre le trio Sumner-Hook-Morris, la guitariste (discrète) et clavier (tout autant) n’exprima jamais une personnalité marquée, mais est plutôt restée dans l’ombre. Son retour ne suffit pas à combler le vide abyssal laissé par celui qui inventa un jeu de basse-signature et dont la dimension physique incontournable a renforcé la puissance du style. Sur Music Complete, Chapman ne prend finalement aucune place véritable. Quand on remarque la basse, c’est parce qu’elle évoque celle de Peter Hook et pour aucune autre raison. En gros, et si on veut vraiment entrer dans le disque, c’est un deuil qu’il est obligatoire de faire. Ensuite une impression vient. N’est-ce pas parce qu’il y a chez le New Order de 2015 quelque chose de vidé, un espace à combler, qu’on retrouve sur l’album produit par Tom Rowlands (Chemical Brothers) de si nombreuses collaborations ? Brandon Flowers des Killers, Elly Jackson et ses backing vocals, venue du duo électro-pop La Roux pour trois titres, Iggy Pop en talk over, seul, sur « Stray Dog », morceau qui tient surtout de l’exercice de style. On peut légitimement se poser la question. Je me la suis posée car un tel méli-mélo (rajoutons la voix italienne inconnue sur le disco-esque « Tutti Frutti » à la mode Frankie Goes To Hollywood) aurait été totalement inenvisageable il y a quelques années.
Pas à pas – Music Complete 2
Barney l’avait annoncé. Il pensait voici un an ou deux à de nouvelles compositions très électro-pop. Après ses envies de guitare de Bad Lieutenant (trois guitaristes dans le même groupe !) le voilà donc en chef d’orchestre perfectionniste largement tourné vers les claviers. La dimension synthétique domine sur au moins cinq titres : « Plastic », « Tutti Frutti », « Unlearn This Hatred », « People On The High Line », « Singularity » (malgré la ligne de basse Hookyesque). On se retrouve quelque part entre « Technique » (1989), des réminiscence eighties grand public pas forcément du meilleur goût – l ‘intro Frankie goes to Hollywood pour Tutti Frutti- et du Mad Chester mâtiné de Chemical Brothers (logique) moins brut que les originaux, par l’application d’une production de très haut standing. Mais le standing est-il l’âme ? Sur ces titres – sauf un – la basse est quasi inexistante. Obstacle détourné. Rowlands, qui en dût beaucoup à NO à ses débuts, joue ici le boomerang et donne sa touche à toute cette série. Les boomerangs, toutefois, si on est maladroit – mais NO ne l’est pas – on risque de les recevoir en pleine figure. Restent cinq autres morceaux qu’on qualifiera de « titres à guitares ». Sur ceux là on trouve du classique comme quelques surprises. Bonnes les surprises. « Restless » en ouverture, serait dans la catégorie classique. De même que « Academic » – les deux se rejoignent. « Nothing But A Fool » est plus étonnant et ouvre une voie. Ses guitares acoustiques en introduction, nourries d’échos et de phrasés orientaux, proposent une ambiance singulière qu’on ne rencontre pas ailleurs dans l’album. Le refrain amené par une attaque de basse reçue en plein plexus, est superbe et enthousiasmant, digne des belles pages pop des mancuniens. « The Game » repose en partie sur une batterie typique de Steve Morris qui fait directement dans le rentrer dedans et donne un break parfait au milieu du titre. La chanson qui se ralentit avant d’éclater est agrémentée de gimmicks de guitare mixés différemment, en retrait ou sonnant haut et clair, qui s’entremêlent avec virtuosité aux nappes et arpèges de cordes. New Order s’y montre convaincant et riche musicalement. Enfin « Superheated » – à deux voix – qui termine l’album, relève de la pure pop acidulée. Avec ses Jingle Bells et sa harpe, il annonce un final d’un complet nunuche. On l’écoute comme on regarderait un téléfilm au happy ending. On connaît le côté fleur bleue de Barney, l’homme nous en donne ici un exemple délicieux.
Noolers
New Order on line est le principal site internet sur lequel se retrouvent les fans du groupe. L’animation y est, me dit-on – je n’y vais plus après l’avoir beaucoup fréquenté – très importante ces jours-ci. On y aurait déjà désigné le titre favori des fans. Je ne sais plus duquel il s’agit ? On doit s’y donner rendez-vous pour la tournée européenne, certains soirs étant déjà sold-out, dont Paris en Novembre et nonobstant le prix élevé des tickets. On ne compte pas pour sa passion. Les Noolers français que je salue ici, se connaissent et ont tous émis des avis sur cet album. Ces avis sont partagés. Et c’était absolument prévisible. Si Lost Sirens – compilation des chutes de Waiting For The Siren’s Call – n’est peut-être paru en 2007 que pour affaire de monnaie sonnante et trébuchante, ce n’est au fond pas un problème. Ne nous voilons pas la face, le rock est dans le show business. Music Complete – sur le label Mute – relève par contre et très certainement d’une autre motivation. Je crois en une volonté sincère de produire encore une musique motivante. Une « musique complète » ou qui serait un aboutissement de tous les savoirs faire acquis par les cinq membres actuels. Par trois, dirais-je, essentiellement, et un, surtout. La question finale toutefois demeure. Au-delà de la brillante réalisation de cet album très dense, et d’indéniables acquis, y aurait-il quelque propos qui soit avancé ici qui ne l’ait déjà été ailleurs ? New Order garde t-il toute sa capacité à nous émouvoir tout en sachant nous faire danser ? A t-il toujours cette forme de poésie musicale qu’on trouva avec émerveillement dans des albums aussi rares que Movement, Power, Corruption & Lies, Low Life, Brotherhood ? Peut-il offrir encore l’inventivité festive et baléarique de Technique ? Franchement, chers Noolers et autres amis, je ne me permettrais pas de le demander à l ‘un des cinq anglais si je le rencontrais, ni même de me le demander à moi-même en vérité. Et qu’y a t’il à compléter maintenant ? C’était l’été et c’est l’automne – qui est aussi une belle saison- et il est vain d’espérer l’éternel.
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Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.
Jean Noel Bouet
Groupe de l’année…