Si Jacques Pradel avait encore une émission sur TF1, ils auraient sans (aucun) doute été le principal objet de recherche d’une émission de Perdu de Vue. Discrets mais remarquables représentants d’une electropop française (deux qualificatifs suffisamment antinomiques pour se souvenir de ceux qui ont su en transcender les écueils), leurs deux albums, au travers de la mélancolie électronique et sombre de Side Effects et la sécheur mélodique de Superheroes Crash, avaient su hanter la première décennie des années 2000. Virginie Krupa et Alexandre Brovelli, le duo electropop français connu sous le nom d’OMR, n’ont ainsi jamais disparu totalement de notre panorama musical même après une éclipse musicale longue de quasiment une décennie. La sortie d’un nouvel album intitulé The Bright Side (annoncé depuis quatre ans) représentait donc à peu près l’équivalent de la réapparition soudaine de Philippe de Dieuleveult et de son kayak au milieu du fleuve Zaïre. Pour ce nouvel effort, le duo a décidé d’étirer son propos entre l’exploration de l’identité musicale historique du groupe et le développement de nouveaux territoires sonores; histoire de prouver qu’après neuf ans d’absence, on n’est jamais la même personne mais pas vraiment différente, non plus. Prends ça dans ta face, Martin Guerre.
Qu’est-ce que vous avez fait pendant neuf ans?
Alex: (rires) Comment dire? Nous avons pris notre temps. Nous avions besoin d’essayer de nouvelles choses, de réaliser d’autres projets, parfois séparément. Quelque part, il nous fallait retrouver l’envie de faire un disque. La création de ce nouvel album s’est donc étalée dans le temps: nous avons commencé à écrire The Bright Side il y a plus de quatre ans mais nous avons mis du temps à le sortir pour diverses raisons. Même si des gens nous ont aidé financièrement, nous voulions sortir ce disque par nous-mêmes mais je pense que cette situation correspond au parcours de pas mal de groupes qui évoluent dans le créneau indépendant. De plus, le contexte de l’industrie du disque est un peu compliqué et nous avons désormais des vies de famille. Donc c’est une espèce de conjoncture qui a créé cette situation.
Virginie: Nous avions réalisé des maquettes pour préparer l’album mais le temps est passé et du coup, nous avons pris du recul par rapport au travail effectué au début. Par la suite, nous avons écrit d’autres morceaux pour finalement conserver les titres qui nous plaisaient vraiment. D’ailleurs, comme tu as pu le remarquer, The Bright Side est un disque plutôt court. Mais effectivement, l’album en tant que tel est fini, masterisé depuis plus d’un an.
Au cours de ces neuf années, il n’y a donc jamais eu la tentation de changement de style?
Alex: Nous espérons avoir évolué. Nous voulions faire un disque assez cohérent, moins sombre que les albums précédents et qui correspond plus à nos vies actuelles. En même temps, j’ai l’impression que nous sommes restés assez fidèles au projet OMR. Nous n’avons pas changé radicalement de style.
Nous espérons avoir évolué. Nous voulions faire un disque assez cohérent, moins sombre que les albums précédents et qui correspond plus à nos vies actuelles.
Virginie: Composer n’est jamais très réfléchi. Nous faisons les choses comme nous les ressentons, pas en décidant au préalable d’une direction. Nous n’avons jamais eu l’ambition de l’album concept.
Comment vous ont semblé ces neuf ans d’absence?
Virginie: Nous n’avons pas arrêté de faire de la musique donc OMR restait toujours dans notre tête. Du coup, nous n’avons pas eu l’impression d’avoir fait une longue pause durant laquelle il ne s’est rien passé.
Alex: C’est surtout lorsque nous discutons avec les gens que nous nous rendons compte que le temps a passé! (rires) De mon côté, je n’ai pas l’impression que c’est si vieux que cela. C’est d’ailleurs un sentiment assez étrange. Je continue néanmoins à penser qu’il était salutaire de faire autre chose pour ne pas forcer notre envie et remettre en route la machine.
Virginie: Il est évident que cela aurait été facile d’abandonner mais, en continuant à alimenter le projet, nous n’avons jamais laissé tomber OMR.
Qu’est-ce qui fait que l’on garde l’envie de travailler sur OMR, malgré tout?
Alex: Même si Virginie et moi sommes en première ligne, il n’y a pas que nous dans le projet. OMR reste avant tout une histoire humaine. On a commencé en 2000 en sortant un premier maxi que personne ne connait et c’est tant mieux. Au final, quinze ans plus tard, il reste vital pour nous de faire de la musique.
Mais pendant ces neuf années, vous avez continué à travailler dans la musique? Vous me parliez de projets parallèles?
Alex: Je travaille en tant que réalisateur et producteur. Là, je bosse sur un groupe électro appelé KCPK, et qui n’a rien à voir d’un point de vue stylistique avec OMR. Je travaille aussi avec un groupe de hip-hop de Philadelphie.
OMR reste avant tout une histoire humaine. On a commencé en 2000 et quinze ans plus tard, il reste vital pour nous de faire de la musique.
Virginie: De mon côté, j’ai un projet solo qui traine depuis très longtemps et puis Alex et moi continuons à faire des projets ensemble.
Alex: En fait, j’ai ressenti le besoin de faire un peu d’autres choses pour retrouver une fraicheur à la fois vis-à-vis du projet OMR et la musique en général.
Est-ce que l’évolution de la technologie pendant ces neuf années a amené quelque chose à votre musique?
Alex: J’ai lu un article dans lequel un type expliquait que la musique avait évolué en raison d’avancées majeures de la technologie et je suis assez d’accord avec cela. Mais finalement ces dernières années,à part l’autotune, il n’y a pas eu grand chose. Ce que t’apporte la technologie, c’est la simplicité et la facilité d’accès. Aujourd’hui, tu peux tout faire sur un ordinateur même si cette façon de travailler n’est pas la nôtre.
Virginie: Nous utilisons beaucoup de synthétiseurs vintage. Notre manière de travailler et nos rôles n’ont pas non plus évolué depuis nos débuts : nous partons de quelques notes de guitare que nous allons arranger, d’un beat que nous allons découper… Je suis plus dans le gros oeuvre tandis qu’Alex préfère le travail de studio, les arrangements.
Alex: Il y a des musiciens comme Flume qui utilisent des synthétiseurs de manière différente pour créer des sons tout à fait nouveaux mais de notre coté, ce qui nous importe avant tout, c’est toujours la mélodie.
Qui s’est occupé de la production sonore cette fois-ci?
Alex: Moi, en grande partie. Ensuite, l’album a été mixé par Etienne Colin avec qui je collabore fréquemment et qui travaille beaucoup pour le cinema. Il a notamment bossé sur The Artist.
Vous aviez envisagé de collaborer avec nouveau avec Mario Thaler pour ce nouveau disque?
Virginie: Mario Thaler n’a plus de studio et étant donné la lenteur de la réalisation de l’album et les changements économiques radicaux dans l’industrie du disque, cela n’était pas envisageable de travailler à nouveau avec lui. Sur les deux premiers albums, on avait pu partir un mois en Allemagne. Très peu de groupes ont désormais les moyens de faire cela, Dans le cas présent, on a pu beaucoup plus prendre notre temps. Après, c’est vrai que le son est différent entre les deux premiers albums et celui-ci. Ils étaient entièrement mixés en analogique ce qui donnait une impression de chaleur alors que le nouveau peut paraitre un peu plus froid.
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Comparé à l’album précédent, l’électronique semble de retour sur The Bright Side.
Alex: Tout à fait. Il y a plus de morceaux totalement électroniques comme « Don’t » que de morceaux rocks sur l’album. Il faut dire que nous avions réalisé Superheroes Crash très rapidement soit l’exact contraire de The Bright Side (sourire). Ce deuxième album avait été composé d’une traite, nous avions enchainé dans le studio et en six mois, tout était fini. Superheroes Crash suit aussi une période durant laquelle nous avons beaucoup tourné. L’atmosphère de l’album correspond donc à cette époque et naturellement nous en sommes arrivés à quelque chose qui ressemblait plus à la musique d’un groupe. Tandis que pour The Bright Side, nous sommes revenus à nos fondamentaux, à nous retrouver tous les deux pour faire notre cuisine.
Le morceau d’ouverture de The Bright Side, « I.L.L.U.S.I.O.N.S », aurait pu se trouver sur Superheroes Crash, non?
Alex: « I.L.L.U.S.I.O.N.S » est en effet un des morceaux les plus anciens de même que « Fear That’s It »! Ils étaient tous les deux présents sur les premières maquettes et datent de cinq, six ans.
Virginie: C’est un album assez éclectique, avec des morceaux assez folk mais c’est aussi parce que c’est un album qui s’est construit dans le temps. Du coup, il présente différentes phases de notre vie, de notre personnalité. La diversité vient du temps passé, de ce que l’on a écouté.
Alex: Nous avons aussi fait attention à ne pas nous répéter. En même temps, tu as souvent cette impression de produire quelque chose d’extrêmement différent et lorsque tu le fais écouter à des gens, ils te répondent automatiquement: « Ah oui, mais çà, c’est toi » (rires). D’un autre côté, je n’ai jamais beaucoup aimé les groupes qui changent radicalement de style. Lorsque tu écoutes ACDC, tu ne t’attends pas qu’ils se mettent à faire du hip-hop. (rires)
Je trouve que le choix de « The Joy in The Headphone » comme single est plutôt étonnant. Ce n’est pas le morceau le plus catchy de l’album.
Virginie: Le morceau est en effet peu conventionnel avec notamment cette montée en puissance sur la fin qui compte quasiment pour la moitié du titre.
Alex: Nous avons eu une grosse discussion à ce sujet avec notre attachée de presse. Après avoir pas mal hésité, nous avons conclu que ce morceau avait tendance à ressortir parce qu’il était vraiment différent de nos productions précédentes.
« Tambourine » est une référence à Bob Dylan?
Virginie: Pas du tout. La chanson vient d’une photographie d’un petit garçon dans un jardin. Cela m’arrive assez souvent de m’inspirer d’une image pour écrire mes textes. C’est aussi le cas pour « Orange Neon Lights » sur l’album.
Il vous reste combien de morceaux que vous n’avez pas utilisé?
Alex: Nous avons écrit beaucoup de morceaux mais il en reste juste trois qui nous plaisent encore. Quand nous sommes partis masteriser, l’album comportait onze titres mais à l’écoute de la narration du disque, de sa progression, nous trouvions plus cohérent que ces trois titres, qui sont biens mais qui n’entrent pas dans l’esthétique de l’album, soient distribués par la suite comme cadeaux.
Virginie: Pour la plupart, ce sont des morceaux avec lesquels nous vivions depuis très longtemps. Nous nous sommes peut-être lassés de certains et avons perdu un peu de perspective à leur encontre. Mais j’espère que ce seront de bonnes surprises lorsqu’ils sortiront.
The Bright Side va sortir sur support physique?
Alex: Pour l’instant, non. En fait, nous ne savons pas si les gens vont encore adhérer à ce que nous proposons. Nous ne nous rendons pas compte. Mais je suis assez étonné que tant de gens soient encore autant attachés à OMR.
Virginie: Pendant ces neuf ans, sans vraiment donner signe de vie, nous avons continué à recevoir des mails qui nous demandaient des nouvelles. C’est vrai que c’est assez touchant au vu du temps passé.
Pendant ces neuf ans, sans vraiment donner signe de vie, nous avons continué à recevoir des mails qui nous demandaient des nouvelles. C’est vrai que c’est assez touchant au vu du temps passé.
Pas mal de remixes de vos titres avaient été produits pour les deux premiers albums. Ce sera le cas aussi pour « The Bright Side »?
Alex: Un ou deux sont envisagés mais je ne peux pas t’en dire plus pour le moment.
Virginie: Mystère, mystère… (rires)
Est-ce que vous allez tourner avec cet album?
Virginie: J’imagine que nous ferons des dates sur Paris et dans des grandes villes mais nous ne ferons pas de longue tournée. Sur les autres albums, nous nous sommes parfois retrouvés à faire des itinéraires de dingue et à traverser la France du jour au lendemain parce que nous acceptions tout. Même si c’était chouette d’être réunis et de voyager tous ensemble, nous n’avons pas spécialement envie de renouveler cette expérience. Nous avons envie de faire des dates qui nous correspondent et sur lesquelles nous avons notre place.
A quoi le groupe de la tournée va-t-il ressembler?
Virginie: Nous serons sans doute un peu moins nombreux que pour les tournées précédentes sur lesquelles nous tournions à 7 avec un ingénieur du son et un éclairagiste, ce qui représentait un investissement important lorsque tu travailles en indépendant. Et puis, nous n’avons plus envie de nous user à gérer tout ce qui est de l’ordre du déplacement.
Alex: Nous y réfléchissons encore parce que nous n’avons pas envie de repartir sur une formule classique ou rock. Nous voulons défendre le projet tel qu’il est: avec sa grosse part d’électronique et de synthétiseurs et proposer quelque chose de plus simple et de plus fragile sur scène.
Parlez-moi du Cinémix.
Alex: Nous avons réalisé cinq performances live sur le film muet La Charrette Fantôme de Victor Sjöström. C’était une expérience assez étrange: toute la salle se retrouve dans le noir, personne ne parle et tu n’as le retour du public qu’après deux heures, à la toute fin du film, à la dernière note. Entretemps, tu te demandes si des gens sont encore dans la salle, si tout le monde ne s’est pas tiré, s’il ne va pas rester un seul type pour t’applaudir (rires). C’est vraiment quelque chose dont nous sommes fiers dans notre travail; notre seul regret, c’est de n’avoir jamais réussi à l’enregistrer.
Virginie: Ce qui est aussi agréable, c’est d’uniquement jouer la musique et d’accompagner le film. Ne pas avoir besoin de se mettre en avant est une attitude qui sans doute nous correspond. Nous nous rendons d’ailleurs compte aujourd’hui de ce décalage avec l’importance accordée aux réseaux sociaux dans la promotion de la musique. Autour de nous, des proches nous encouragent beaucoup à nourrir notre Facebook alors que ce n’est pas quelque chose qui nous est naturel.
Ne pas avoir besoin de se mettre en avant est une attitude qui sans doute nous correspond. Nous nous rendons d’ailleurs compte aujourd’hui de ce décalage avec l’importance accordée aux réseaux sociaux dans la promotion de la musique.
Alex: C’est vrai que nous n’avons jamais beaucoup communiqué sur OMR.
Je te confirme que pendant neuf ans, je n’ai pas souvent entendu parler de vous!
Alex: Oui, je sais. Nous aurions dû t’envoyer des photos de vacances ou des cartes postales! (rires)
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.