Au début des années 2000 s’il y a bien quelque chose dont, sur le plan musical, je fus satisfait, c’est qu’enfin on nous cassât moins les oreilles avec le Grunge. Oh! Le Grunge! Voilà qui ne me dit rien du tout. Avec ses gratteux aux scolioses en plein épanouissement, dans leurs chemises de bûcherons XXL, vêtements mal seyants, voire déprimants, à part pour les vrais bûcherons, je suppose ou pour les personnages des romans de Jim Harrison, lesquels ne sont jamais très en forme; relation peut-être de cause à effet. Mais donc, début 2000, on échappait à tout ça comme aux vocalises déchirées archi pénibles. En plus, on entendait moins Bertrand Cantat dans l’hexagone.
Alors que se passa-t-il? Puisqu’une chose en remplacera toujours une autre.
Un jour je ressors du Virgin Megastore de la rue St Ferréol (Marseille) avec deux cd. Au début des années 2000 on achetait encore des disques, appelés cd. Aujourd’hui il semble que tout se soit dématérialisé depuis ce temps, mais par chance je n’y comprends rien et j’aime les objets. Donc mes emplettes, ce jour là, furent les suivantes: The Libertines du groupe au nom éponyme et Room on Fire des Strokes. Les premiers étaient anglais, londoniens, les autres from NYC. Globalement, à première écoute, il y avait un cousinage, et, ouf, on avait bien laissé tomber les riffs assommants des mid nineties… Nous ne nous intéresserons ici qu’aux Libertines. Bien entendu.
En 2004, ces galopins en sont à leur deuxième opus. Le premier, totale impasse de mézigue, s’appelait Up the bracket, paru en 2002. Deux gars sont les patrons de l’affaire. L’un s’appelle Peter Doherty et l’autre est Carl Barât. En écoutant The Libertines, l’album, je ne fus pas complètement aux anges, mais tout de même je retrouvais de quoi me nourrir. Bien sûr on peut avoir cette tendance à goûter ce qu’on aime déjà. Je le concède. Chez The Libertines je percevais les échos des Kinks, des Buzzcocks, du Clash. Et comme par hasard Mick Jones avait produit ce second et dernier LP des duettistes Doherty/Barât. La nouveauté dans une certaine continuité d’un song writing particulier me plaisait bien.
Après ça il semble que les choses aient tourné vinaigre entre eux. Et Jones ne fut pas une nounou pour tenir le groupe debout; Doherty par ailleurs s’affalant beaucoup. Beaucoup trop. End of data pour les libertins. Zut. Cependant et quoi qu’il en ait été ensuite, ces plaqueurs de riffs énervés pouvaient bien être considérés comme les figures de proue d’une nouvelle vague du rock made in Albion. Pas franchement un changement radical, mais une autre figure du même, oserais-je écrire.
Carl Barât après plusieurs autres projets, en groupe ou en solo depuis dix ans, revient cet hiver sur le devant de la scène indé. Ses Jackals qui sont de parfaits inconnus, il les a recrutés par annonce et la réputation du garçon lui aura fait ainsi étudier des centaines de propositions. Let It Reign, album du nouveau groupe, sort ces jours ci et forcément le combo en fait la promo. Je n’affirmerai pas que le monde entier n’en a rien su, ou bien que le pays a d’autres centres d’intérêts plus motivants, mais en tous les cas, à Nîmes, on ne s’y est intéressé que très relativement. Dans la salle « club » du complexe Paloma, Barât and The Jackals n’attirent que deux cents personnes ou un peu plus, allez, tentons deux cents cinquante. C’est à dire rien de très satisfaisant en regard de la notoriété du maître de soirée.
Après une première partie étonnante et brillante assurée par Oh! Tiger Mountain, duo surf, psyché et arty venu de Marseille, l’ex Libertines et ses hommes entrent sur scène en une seconde. On croit des feux follets. La bande, aidée d’un road au regard sévère et qui veille sur tout, est speedée et tout de cuir vêtue. Blousons noirs, futals noirs, serrés et portés bas, un peu déchirés éventuellement, genre: « on est des rockers, voyez? » Le tout sur des T-Shirts sans manches très échancrés que, personnellement, je trouve absolument non mettables. C’est toute une esthétique vestimentaire Sid Vicious- l’intranquille. Le cheveu est long, qui revient beaucoup, mais pas en l’air, ce qui donne un mélange de tension et de cool.
Le groupe, Carl en tête, attaque son nouveau répertoire et joue sur un tempo plus que rapide. Binaire et rapide. Accords passés super vite et en barrés, que ce soit sur la SG Gibson de Barât, aux doubles humbuckers ou sur la Télécaster cisaille du second guitariste. Le batteur se retrouve rapidement torse nu et frappe carré, précis et dur. Avec des fulgurances que l’auditeur attentif remarque, capable à lui tout seul de relier des morceaux sans se perdre ou frôler le faux raccord. Pendant une première demi-heure intense, les musiciens jouent et s’agitent comme je l’ai rarement vu. Je pourrais évoquer des images des Libertines, mais ce serait insuffisant. Barât a confié à la presse qu’il s’ennuyait tout seul, et qu’il avait eu envie de nouvelles compos énervées. L’adjectif est le bon. Les trois musiciens debout tournent dans tous les sens et c’est toujours avec étonnement que je m’aperçois de la maîtrise vocale du chanteur qui ne se loupe pas une seule fois, retombe exactement sur le temps, et chante juste quand il retrouve le micro. Les riffs sont soutenus et entrecoupés régulièrement de breaks, selon des structures assez similaires, ponctués de mélodies qu’on mémorise plus ou moins, jouées note à note sur les trois cordes aiguës. Une signature. » Summer In The Trenches » en est un exemple caractéristique. On arrive à « Glory Days », sans doute le morceau phare de l’album. Le titre est syncopé, a quelque chose d’un beat ska, mâtiné de Clash, avec un refrain qui fédère. La recette prend. On souffle un moment.
L’ex Libertine reste seul sur scène. Guitare folk, pour deux titres en acoustique, extraits des albums solo. Très convaincants. Moins furieux. Barât s’adresse à nous en français, on pourrait croire qu’il veut échanger plus calmement après l’agitation de la première mi-temps. Sauf qu’il ne finit que rarement ses phrases et repique du nez vers sa guitare ou s’offre une gorgée de bière. Moqueur, un peu, il tend une 1664, peut être pas tellement à son goût, et commente dubitatif: « La bière de Nîmes? ».
Retour de l’équipe au complet. On reconnaît les accords de do et de fa qui introduisent « Let It Reign », second tube potentiel après « Glory Days ». Les chacals nous la font un peu moins rapide, un peu moins teigneuse. On enchaine durant une vingtaine de minutes des titres apparemment moins binaires, mais qui s’emballent ou martèlent des accords tendus, en refrains que n’auraient pas reniés Joe Strummer : »A Storm Is Coming ». Barât le galopin pas assagi et ses canidés sauvages sont « une machine de guerre » écrivent les Inrocks. Ce n’est pas impossible en effet. Ils ne sont pas, en tous les cas, une machine musicale pour la seule distraction du public. Ils nous le feront peut être entendre après « I Get Along », quittant la scène sans véritable salut, avec cette reprise de Doherty/Barât, et parce qu’ils ne reviendront pas, le bassiste balançant sur ses comparses, in fine, une giclée de bière, jaillissante. Droit dans ta gueule, mec! Je m’entends, je me comprends, et vous? « Up The Bracket ».
Un peu sonné, le public ne réagira pas beaucoup et ne réclamera plus rien. On claque des mains, mais sans vraiment dire Yeah! Personnellement, après seulement une heure de set, ou guère plus, j’en aurais bien repris un coup. Mais en même temps ça pouvait aller comme ça. La cause artistique avancée primant comme justificatif.
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Carl Barât and The Jackals, Let It Reign, album, sortie le 16/02.
En tournée européenne.
NB: The Libertines devraient se reformer cette année, 2015. Doherty se remettrait sur pieds, dit-on, quelque part en Thaïlande.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.