Pe’ahi, le nouvel album des Raveonettes a beau être sorti par surprise au mois de Juillet, comme d’hab’, il nous a fallu plusieurs mois pour rédiger une bien pauvre bafouille à son sujet. Mais, pour autant, pas question de transiger (pour l’instant!) sur la règle d’une chronique à chaque sortie du duo danois car de par ici, nous sommes encore et toujours raides dingues de leur musique, admiratifs de leur facilité à enchaîner des mélodies intenses et honteusement imparables sous des murs de guitares affutées comme des tronçonneuses, à faire chauffer la température avec un résultat un million de fois plus sexy qu’un pitoyable clip de Kanye West.
Au moins donc deux raisons pour dégager, encore une fois, d’un revers de la main la principale critique faite à ce groupe; celle qui affirme mordicus que les Raveonettes écrivent toujours la même chanson. Car si le style de composition du groupe peut sans aucun doute s’apparenter à une (excellente) formule, tous les albums du groupe sont parcourus par une cohérence et une énergie différentes dessinant à chaque fois une identité solide et particulière. Et si Observator semblait jouer le jeu de l’apaisement, c’était pour mieux revenir brutalement sur un Pe’ahi en mode abrasif, sombre et torturé. Endeuillé par le décès d’un père alcoolique et abusif, le chanteur Sune Wagner a fait de ce disque une catharsis agressive de haine, de douleur et d’amour traversée par une urgence de tous les instants comme une peur de ne pas retranscrire dans les temps et de manière fidèle cette confusion furtive mais par dessus tout violente et cruelle des sentiments.
Déambulant toujours sur une frontière tenue entre Eros et Thanatos, ces deux piliers thématiques du groupe ne sont jamais apparus aussi à vifs et exacerbés que sur Pe’ahi : album sec et rock, acéré comme le cran d’arrêt de sa pochette. La shoegaze y est vertigineuse et alterne les sommets et les abîmes bruitistes (« Sisters »), les riffs de guitare vibrent comme des caresses coincées dans des gants en papier de verre pour souligner des mélancolies mattes et crève-coeurs (Z-Boys) construites en deux temps et lumineusement victorieuses. Tandis que le soleil californien dissimule des urgences en forme de murs du son (l’introduction de « Endless Sleeper » comme un décalque halluciné du « Break On Through » des Doors avant les explosions sonores), la surf pop (« When Night Is Almost Done ») frissonne sous des déflagrations soniques comme des soubresauts de vie et les respirations sont parcourues par l’angoisse de la mort (« To say goodbye is to die a little bit » sur « Wake Me Up »). Mais la confrontation avec la mémoire du père évoquée plus haut est particulièrement flagrante sur le presque électronique et bien nommé « Kill! », medium plein d’interrogations sur les caractéristiques mêmes de l’hérédité (« One time I saw my dad fuck a redhead whore I never ever thought I would« ), condensé déchaîné violent et bruitiste mais pourtant encore loin de la décharge de haine contenue sur le morceau de clôture : « Summer Ends », lettre d’adieu comme un règlement de comptes à la figure paternelle honnie, enterrement d’un souvenir sans se retourner mais entrée dans le même temps dans l’âge adulte et la fin d’une forme d’innocence.
Pe’ahi est sans doute l’album le plus hanté, le plus tourmenté à la fois musicalement (pas de pop song classique par ici, pas de refrain couplet mais des chemins tortueux et pourtant toujours mélodiques) et thématiquement (« Endless Sleeper » est aussi une chanson sur la presque noyade de Sune Wagner) de la discographie des Raveonettes. L’exacerbation structurelle des sentiments et particulièrement des ressentiments offre une texture particulièrement abrupte et amère au disque tout en restant familière et addictive; une mise à nu réussie comme l’écho bruyant et traumatisant d’une intimité déterrée avec ses mains, les ongles encrassés par le sable des plages de la Californie.
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.