Nous avons découvert Grand Blanc le premier jour de Décembre durant un concert à la Flèche d’Or. Ce soir là, ils étaient coincés entre Venera 4 et Blouse, deux groupes que nous connaissions autant que nous ignorions tout de cet énigmatique Grand Blanc; une formation que nous imaginions un quart squale, un quart Antarctique, un quart pâle missionnaire catholique égaré au milieu des pygmées, un (tout petit) quart ville du Michigan. A voir alors monter sur scène ces quatre clampins au look d’autistes négligemment fagotés et dégingandés, il n’était pas nécessaire d’être une fashionista pour réaliser que Grand Blanc était à mille lieux de l’image du classique hipster parisien. Car les membres du groupe viennent de Metz, ville de l’Est pas laide mais entourée par un bassin lorrain en perdition dans lequel le chômage et l’ennui trainent depuis bien trop longtemps leurs guêtres.
Après avoir essayé de s’appeler Bonaparte, puis décidé, devant la concurrence pour le même patronyme d’un groupe electro punk, d’abandonner le nom, de s’orienter vers une formule folk avant de lui préférer une coldwave aux claviers taciturnes, le groupe a fini par s’installer sur la capitale. Pas nécessairement dans cet ordre-là, d’ailleurs. Il a, en tous cas, sorti en Mai un EP intitulé Devant de nous rassemblant cinq morceaux composés entre 2011 et 2013 et arrivés à nos oreilles, comme de coutume, quelques mois plus tard.
Autant l’avouer tout de suite, l’idée d’une coldwave chantée en français nous est à la base plutôt déplaisante, renvoyant l’image de musiciens francophones fascinés jusqu’au vomi par un Ian Curtis iconique et fantasmé, s’enfonçant dans une noirceur si forcée qu’elle rime souvent avec ridicule. Autant d’à-prioris (sans doute pas complètement justifiés) qui auront tenu un petit moment au début du concert de Grand Blanc mais se seront petit à petit étiolés, balayés par la sincérité et l’énergie nerveuse à la fois musicale et textuelle du groupe: démonstration immédiate sur le EP avec un « Samedi la nuit », évocation sordide tout en restant subtilement implicite de soirées alcoolisées, aux sonorités esthétiques synthétiques jusqu’aux lignes de basse toutes très Martin Hannett, ponctuées par le phrasé et les intonations vocales à la Bashung du chanteur Benoit David. Et dès ce premier titre apparait un évident talent pour la violence métaphorique et sensible des mots. « Feu de joie » avec son explicite cri du coeur (et -surtout- du reste) « Braise-moi » se décline comme une démonstration explicite du rapport évident de la sexualité et de la chaleur portée par de longues lignes de synthétiseurs. Mais, par dessus-tout, ce duo de voix entre Benoit et Camille (Delvecchio, synthés, chant, contrebasse) provoque une association rêche, que l’on perçoit comme caractéristique générale de l’identité du groupe. Le chant de cette même Camille sur « L’homme serpent » illustré par des beats martiaux New Order catalogués 1981 – 1982 (à nouveau la période Hannett donc), sonne adolescent et ingénu avant d’évoluer peu à peu vers une nature plus libidineuse et rugueuse et découvrir un titre pour des discothèques fantômes hantées par les corbeaux, reflet torturé et négatif d’une naïve pop électronique française des eighties. Le jeu des sonorités polysémiques et ses valeurs sémiotiques associées (Qu’est-ce que j’entends dans ce chant? Qu’est-ce que je veux y entendre?) trouve son paroxysme sur « Nord » pour décrire de manière littérale et métaphorique l’errance avinée, la perte de repères de la conscience sur des rythmiques fébriles et des guitares qui cherchent à en découdre. Le terminus du EP sera « Montparnasse », fulgurante et bouleversante élégie, sans doute le morceau le plus doux et classique du disque et une décomposition textuelle du deuil d’une pudeur dure et belle comme l’ébène supportée par un accompagnement instrumental intimiste et délicat avant une montée en tension achevée dans un déluge de guitares.
Grand Blanc a su absorber une tendance musicale anglaise spécifique en conservant une certaine tradition française du phrasé et du jeu de mots et des sens, des signifiants et de leurs signifiés. Qui plus est, ils ont réussi ce mariage sans paraître ridicule mais, au contraire, en étant très pertinent. Ce qu’il y a aussi de particulièrement émouvant ou touchant chez eux, c’est leur manque de calcul et leur sincérité non forcée, leur maturité naïve et décomplexée; sans oublier un talent d’écriture juste patent. En bref, Grand Blanc, restez ainsi le plus longtemps possible.
[bandcamp width=100% height=120 album=4209892458 size=medium bgcol=ffffff linkcol=333333]
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.