A deux, c’est certainement plus marrant. C’est peut-être ce que s’est dit Sophia Hamadi au moment de décider d’abandonner pour un moment son terrain de jeu musical personnel, Playground (ahem ahem…), et de choisir de faire équipe avec la madrilène Rocio Ortiz. Les deux jeunes femmes se sont rencontrées entre la sortie d’un bar du XIème et une soirée parisienne toute pourrie et ont baptisé leur collaboration Opale; nom un chouia prétentieux qui, avec ses allures de pierre précieuse, place la barre plutôt haut et ne souffre pas vraiment l’erreur de goût. Leur premier album est sorti en Mai 2013 et a été produit par Stellar Kinematics et Heia Sun.
Si Rocio et Sophia ont choisi de nommer leur galette L’incandescent et ont expliqué (dans l’interview de Retard Magazine) qu’elles jouent une musique lumineuse, c’est un éclat froid et menu, aux teintes chromatiques forcément mates et peu contrastées, qui rayonne de la musique d’Opale. Il n’y a pas d’expression franche du sentiment dans cette dernière, aucune rupture stylistique, rien de clinquant, juste une marche en avant inéluctable mais déjà lasse et forcée. L’electro pop minimaliste du duo baigne dans une atmosphère franchement coldwave, de celle qui glace la conscience et creuse avec ses ongles vers l’intérieur. Avec ses boucles hypnotiques, sa recherche stylistique du minimalisme, ses voix polyglottes (français, espagnol ou anglais), blasées et baignées dans une image du dédain, noyées sans effort dans le mix (« Delusion 44 »), c’est une musique de danse hallucinée pour neurasthéniques (« Sparkles and Wine »), un générique pour un reboot imaginaire de Twin Peaks (« Paris Tx » qui malgré son titre en référence directe à Wim Wenders évoque plutôt soniquement la série télévisée de David Lynch), le romantisme en moins, un mysticisme décharné (« Cutting Edge ») comme une musique de film (les deux jeunes femmes sont fascinées par le cinéma, en témoigne la très belle relecture du film inachevé d’Henri Georges Clouzot L’enfer dans la vidéo de « Sparkles and Wine »), une élégie éthérée (« Lost Spirits ») ou une ombre de chanson d’amour (« Hold You Tight » sur laquelle Sophia murmure d’ailleurs: « Dehors, la nuit, tous les chats sont gris »).
Mais dans cette formule de l’épure, une fois que l’on a dépouillé ce qui relève de l’accessoire, jusqu’où peut-on rogner pour continuer à vibrer? Malgré la froideur, l’absence d’enthousiasme des voix désabusées, les mélodies frigides des machines, les claviers analogiques alourdis par la gravité, l’encéphalogramme qui frissonne dans les profondeurs, qu’est-ce que cette musique fait finalement résonner chez nous? Avec sa langueur aphone, c’est une mélancolie presque primitive et pure, contradictoire car à la fois familière et particulièrement étrangère, délivrée de toute contingence parasitaire et pathologique qui s’écrit sur le disque. C’est une approche, les yeux fermés et à tâtons, d’un indéfinissable qui se rapproche éventuellement du spirituel, d’une métaphore toute particulière et personnelle de l’âme humaine. Alors, peut-être est-ce finalement cela L’incandescent pour Opale: cette émission de lumière mystérieuse à l’origine inconnue qui, même faiblement, continue à briller à l’infini, perdue au milieu des ténèbres.
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.